22ème sauvetage : Recommencer une nouvelle vie
1 août 2016

Le chant de gratitude des femmes nigérianes recueillies lors du 21ème sauvetage a réinsufflé la vie sur l’Aquarius, après le triste souvenir du précédent sauvetage. A peine les 138 rescapés sont-ils à bord, que nous nous dirigeons plus à l’Est après une nouvelle alerte du MRCC de Rome. A notre arrivée, un navire présent sur place a déjà distribué des gilets de sauvetage mais ne pouvant prendre les rescapés à son bord, il est resté là jusqu’à l’arrivée de l’Aquarius. Il faut toutefois redistribuer nos gilets, plus solides, avant de procéder à l’évacuation des 98 personnes qui viennent de passer quelques treize heures en mer sous un soleil de plomb.

Pendant l’opération, les rescapés du sauvetage effectué quelques heures plus tôt ont les yeux rivés sur les canots. « Nous avons l’espoir que vous les sauverez aussi », soufflent-ils. Quand les « nouveaux » arrivent à bord, les deux groupes se saluent chaleureusement. Les premiers viennent tous d’Afrique de l’Ouest, les autres essentiellement d’Afrique de l’Est, Erythrée, Somalie, Soudan, mais aussi, fait assez rare, du Bengladesh. Ces derniers ont parfois passé plusieurs années en Libye avant que la situation n’y devienne intenable. « La Libye est un pays maudit, on nous y battait presque tous les jours », assure un nigérian. « Dès que je suis parti, je me suis senti libre », dit-il. Tous ont fui leur pays à cause d’un régime oppressant, de conflits armés chroniques et surtout de la misère. Ils ont parfois traversé plusieurs frontières et déserts, encouru d’incalculables dangers dans l’espoir de trouver un gagne-pain en Libye. Il y a parmi eux un nombre significatif de mineurs. Leurs histoires sont presque toutes semblables à celle de Mohammad, soudanais de 17 ans. « A 14 ans j’ai dû quitter l’école pour travailler dans les champs de maïs. Dans mon pays il y a des problèmes sécuritaires, et la vie est trop chère. Je rêve d’étudier, d’apprendre l’anglais. » En Libye où il a atterri, pensant assurer son avenir, il été emprisonné six fois, appât idéal pour soutirer à sa famille des rançons. « Mon frère a dû vendre sa maison pour me libérer ».

Ils ont parfois payé l’équivalent de 1000 Euros, une somme inaccessible pour certains, pour faire la traversée à bord du canot, transis de peur. « Nous avons croisé quatre navires qui nous ont ignoré et ont continué leur chemin. Nous étions perdus, ne sachant pas nous orienter. L’eau commençait à pénétrer notre canot et les planches de bois à se briser. Nous étions désespérés, prêts à mourir », raconte Angoso, érythréen. Pourtant, « aller en Europe par mer ne vaut pas les risques encourus pour les vies de milliers d’hommes valeureux », écrit Abdul Rahman, un nigérian, pour accompagner un dessin qui lui permet d’exprimer son vécu. « Monter à bord de ce navire c’était comme de recommencer une nouvelle vie », dit Ahmad, soudanais.

Leurs voeux les plus chers ? « Je n’ai jamais vécu l’expérience de la liberté. Je rêve de vivre dans un pays libre » confie un érythréen. « Je rêve de vivre dans la dignité », ajoute Ahmad le soudanais. Alors pour ça, malgré la peur au ventre, ils ont voulu prendre le risque.

Par Nagham Awada

Crédits photos : Isabelle Serro