Blessing, sage-femme à bord de l’Ocean Viking
19 mars 2020

« Parfois, elles ont été en mer pendant plusieurs jours, et en raison de leur mauvais état de santé général, elles risquent d’accoucher prématurément. »

Pour chaque mission de l’Ocean Viking, Médecins sans Frontières, partenaire de SOS MEDITERRANEE, compte parmi son équipe médicale à bord une sage-femme. C’est elle qui prodigue les soins aux femmes – y compris les femmes enceintes – et aux jeunes enfants. En cette septième rotation de l’Ocean Viking qui s’est achevée en mars 2020, Blessing, une chaleureuse sage-femme congolaise aujourd’hui installée en Afrique du Sud, a accepté de répondre à trois questions.

1- Dans quelles conditions les femmes et les enfants arrivent-ils à bord de l’Ocean Viking ? 

A leur arrivée, les femmes sont souvent faibles, stressées et en état d’hypothermie. Bien sûr elles sont aussi terrorisées après un si long périple en mer. Nombre d’entre elles souffrent du mal de mer. Certaines vont carrément s’évanouir d’épuisement lorsqu’elles posent le pied sur le navire. D’autres encore présentent des brûlures cutanées importantes causées par le contact prolongé avec le mélange eau de mer-carburant, très corrosif. Nous rencontrons aussi régulièrement des femmes enceintes à tous les stades de la grossesse. Parfois, elles ont été en mer pendant plusieurs jours, et en raison de leur mauvais état de santé général, elles risquent d’accoucher prématurément. La plupart de ces femmes sont également anémiques.

En ce qui concerne les jeunes enfants, rares sont les cas de maladie grave. Nous traitons en revanche beaucoup d’infections de la peau ou d’autres affections causées par la promiscuité dans les camps de détention, sans accès à des installations sanitaires ou à des soins de santé.

2- Quels soins leur sont dévolus ?

Pour chaque opération de sauvetage, un médecin de MSF monte à bord d’un canot de sauvetage de SOS MEDITERRANEE. Lors de la première approche, il transmet par radio à l’équipe médicale à bord de l’Ocean Viking les indications liminaires sur le nombre d’hommes, des femmes et d’enfants et leur état de santé. Ainsi, l’équipe peut préparer le matériel adéquat pour les accueillir à bord : couvertures de survie, kits de première nécessité, etc. Sitôt sur le navire, les femmes et les enfants sont guidés vers leur abri, qui est séparé de celui des hommes. Nous conduisons alors une première évaluation de leur état de santé afin d’identifier les cas nécessitant des soins médicaux immédiats. Les femmes et les enfants qui ont été exposés au carburant sont immédiatement dirigés vers les douches, après quoi ils remplacent leurs vêtements mouillés ou trempés d’essence contre des tenues propres. Ils peuvent également bénéficier d’une consultation médicale et d’un traitement d’urgence si nécessaire.

Dans les heures qui suivent, je les retrouve dans leur abri pour un mot de bienvenue. Je leur explique qui nous sommes, ce qu’ils peuvent attendre de nous, sans oublier les règles de base à respecter pour assurer la sécurité et le bien-être de tous pendant le séjour à bord du navire.

Plus tard, à un moment opportun, nous abordons la question des violences sexuelles et proposons une prise en charge appropriée à celles qui en expriment le besoin. Au cours de leur voyage et de leur séjour en Libye, de nombreuses femmes ont subi des violences sexuelles. Nous leur expliquons ce que nous pouvons leur offrir sur le plan médical et décrivons les options de suivi.

Nous organisons également des consultations individuelles : bilan de santé détaillé de chaque femme et de chaque enfant, premiers secours psychologiques… Il est très important de rassurer les femmes et de leur offrir un lieu où elles peuvent se sentir sereines et en sécurité – tant pour elles-mêmes que pour leurs enfants.

Nous disposons également de tout le nécessaire pour les enfants de tous âges : couches jetables, lait pour bébé, jeux, matériel de dessin, instruments de musique… J’aime chanter et danser avec les femmes et les enfants. Ce sont de beaux moments. Pendant un instant, le traumatisme qui les habite fait place à la joie.

3-  Y a-t-il des enjeux de santé reproductive particuliers?

Oui ! Lorsque je donne des consultations prénatales pour les femmes enceintes, je vérifie notamment leur taux de globules rouges. Souvent, les femmes enceintes qui arrivent à bord de l’Ocean Viking sont anémiques. Lorsque l’anémie est modérée, je les mets sous traitement en attendant leur débarquement dans un lieu sûr. Mais si l’anémie est grave, nous pouvons demander une évacuation médicale, car cela pourrait les exposer, elles ou leur bébé, à des complications. Nous offrons également un traitement spécifique à toutes les femmes qui ont été exposées à des violences sexuelles au cours de leur voyage ou pendant leur séjour en Libye. Lorsque ces femmes débarquent, nous les orientons autant que possible vers le médecin représentant le ministère de la Santé du pays hôte, afin de garantir que leur traitement et leurs besoins soient pris en compte.

Crédits photos : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE