Alessandro, président de SOS MEDITERRANEE Italie
19 février 2020

Le sauvetage tatoué sur le coeur

« Après plusieurs missions avec SOS MEDITERRANEE en tant que sauveteur, je me suis fait tatouer l’Aquarius sur le bras. Parce que je suis fier de ce que je fais ».  

Ancien informaticien, Alessandro, 40 ans, vit à Sienne. Secouriste à la Croix-Rouge italienne, il a suivi une formation de marin et a rejoint SOS MEDITERRANEE en 2017. Entre chaque mission, il arpentait l’Italie comme bénévole pour alerter l’opinion sur la crise humanitaire qui sévit en mer. Depuis le 15 janvier, il relève un nouveau défi : présider (bénévolement) SOS MEDITERRANEE Italie. Entretien.

Quelle est votre priorité en tant que Président ?

Il y a beaucoup de choses à faire en Italie. On a besoin de professionnaliser nos équipes, d’améliorer notre coordination. Il nous faut plus de bénévoles capables d’encadrer d’autres bénévoles. Tout cela nécessite de l’énergie et des structures. Nous avons besoin d’outils, de formation et d’argent. Notre travail quotidien est d’organiser des campagnes de sensibilisation dans toute l’Italie, mettre en place les structures, collecter des fonds car l’entretien d’un bateau coûte cher. L’argent vient de la société civile, de citoyens de tout âge et de tout milieu social. En 2018, la fermeture des ports italiens a provoqué une vague de mobilisation citoyenne. En un an et demi, nous avons organisé 120 séances publiques de témoignage, touchant ainsi 10 000 personnes. Du nord au sud de l’Italie, nous avons créé de nouvelles antennes appelées salvagente (bouée de sauvetage). Notre objectif est de recruter 100 nouveaux bénévoles en six mois, un défi qui signifie beaucoup de travail entre Milan, Florence, Marseille et Sienne… Il est parfois difficile d’avoir une vie de famille, mais c’est pour la bonne cause ! 

Avant de vous investir au sein de SOS MEDITERRANEE, vous étiez bénévole à la Croix-Rouge. Comment s’est fait le passage de l’un à l’autre ?

En effet, je suis depuis longtemps bénévole à la Croix-Rouge italienne en tant que secouriste, pour des urgences à terre mais aussi en milieu aquatique (lac, rivière ou mer) lors de compétitions, régates, canyoning… Lors de ce type d’intervention, nous utilisions des RHIB [NDLR : canots de sauvetage rapides, comme ceux qu’utilisent les équipes de SOS MEDITERRANEE en mer]. Mais à la base, je suis secouriste, pas marin. J’ai donc suivi une formation maritime avant de rejoindre SOS MEDITERRANEE pour une première mission en juillet 2017, sur l’Aquarius. Les interventions avec la Croix-Rouge sont beaucoup plus simples, avec deux ou trois secouristes pour un ou deux blessés. En mer, nous sommes trois à six sauveteurs pour prendre en charge de 70 à 200 personnes !

Qu’avez-vous appris de cette première mission ?

L’aspect technique du sauvetage ne prend que quelques heures. Prendre soin des personnes secourues dure beaucoup plus longtemps, parfois jusqu’à 15 jours. Le plus difficile est de rester agréable, heureux et performant tout en voyant des gens mourir, souffrir, pleurer… C’est une réelle difficulté. Nous partageons des histoires : en 2018, lors de ma dernière mission sur l’Aquarius, je me sentais très proche d’un Syrien de mon âge qui avait fui son pays en passant par la Jordanie, l’Egypte et la Libye. Il était divorcé et voulait venir en Europe pour retrouver sa famille. On avait beaucoup de choses en commun : couleur de peau, milieu social, métier… Mais moi j’avais un passeport et je pouvais voyager, et lui non. Je me suis vraiment identifié à lui.

Avez-vous rencontré des obstacles politiques ?

Les personnes que nous secourons ne sont pas là pour nous envahir. Ils quittent leur pays à cause de la guerre, de la crise économique, du changement climatique aussi. Les plantes du sud poussent maintenant au nord en raison de ce changement climatique. Pourquoi les êtres humains ne feraient-ils pas pareil ?

On agit comme des urgentistes : on ne demande pas à une personne blessée ou en danger de mort pourquoi elle est là. Les marins ont l’obligation de sauver des personnes en péril en mer, pourtant ce geste apparaît parfois comme un acte politique. Même si l’on sait que ce que nous faisons est juste, nos actions ne plaisent pas à tout le monde. Il faut se confronter au public, aux médias, présenter ce que l’on fait de la bonne façon. Je me suis fait tatouer l’Aquarius sur le bras, parce que je suis fier de ce que je fais.