Petite histoire de solidarité de la mer à la mer, en passant par la montagne
3 septembre 2018

Anaïs est bénévole à terre pour SOS MEDITERRANEE. En plus de prêter sa voix aux rescapés lors de lectures publiques de témoignages recueillis à bord de l’Aquarius, il lui arrive d’écrire sur son expérience personnelle à travers de très beaux textes. En voici un que nous avons voulu partager avec vous.

« La Clarée est une rivière qui prend sa source au-dessus du village de Névache, et qui se jette dans la Durance un peu plus bas dans la vallée, au niveau du pont des Amoureux.

La Durance se love dans un canal et arrive à Marseille au cœur du palais Longchamps, édifié pour célébrer ses eaux.

Enfant, je savais, sans que cela ne soit visible, que l’Italie était de l’autre côté de la montagne,

de l’autre côté du col que l’on appelle le col de l’Echelle.

Je trouvais ça drôle, j’imaginais une échelle sur la montagne.

Aujourd’hui, je sais que cette montagne est une frontière,

aujourd’hui, je sais que la paisible vallée de la Clarée est devenue, elle aussi,

une frontière meurtrière.

Le cours de ma vie a suivi celui de la Durance et m’a emmenée à Marseille, sur les bords de la Méditerranée, mais celle-ci a commencé au bord de la Clarée.

Vendredi, une amie m’appelle de Briançon, elle me demande si je peux héberger quelqu’un le soir-même :

une personne descend à Marseille,

elle emmène trois personnes arrivées récemment à pied à Briançon,

via des cols qui culminent à 1800 mètres d’altitude.

Je les retrouve gare Saint Charles.

Deux d’entre eux sont arrivés trop tard pour le train de Nice, qu’ils souhaitent rejoindre.

Est-ce que je peux également les héberger ?

Ma tête tourne, ma colocataire n’est pas joignable, il est 22 h, gare Saint Charles,

lieu d’arrivée et de sommeil précaire pour beaucoup de personnes qui cherchent refuge,

au milieu des trafiquants en tout genre, des militaires en état d’urgence permanent,

la gare n’est pas un lieu sûr.

Ok, je vais les loger pour la nuit, ils repartiront le lendemain matin vers Nice.

Arrivés à la maison, je discute surtout avec l’un d’entre eux, francophone, qui parle volontier.

Il a rapidement compris que je fais partie de la grande équipe de SOS MEDITERRANEE,

dont la mission coule de source, en mer : sauver des vies.

Petit à petit, je comprends qu’il a été secouru en Méditerranée par l’Aquarius,

que la veille il a marché de 21 h à 3 h du matin dans la montagne,

et qu’il rejoint sa femme à Nice.

Ils ne se sont pas vus depuis deux mois.

Elle doit accoucher dans deux semaines.

Le surlendemain, un dimanche, je reçois un appel :

« Je t’appelle pour la bonne nouvelle, notre enfant est né !!! »

Merci la vie. »

Texte : Anaïs ENON

Crédit photo : Christine DANCAUSSE