Un portrait

Une histoire

Isaac*

Sierra Léone

Pays d'origine

 

La traversée du désert

 

J’étais en Libye depuis 2016. Là-bas on passe d’un enfer à l’autre, d’une prison à l’autre, c’est sans fin. Je n’ai pas fini de verser des larmes de joie. J’ai quitté la Sierra Leone pour me rendre à Agadez au Niger, puis à Sabha en Libye, il m’a fallu deux semaines pour traverser le désert. Au cours de ce voyage éprouvant, des gens te demandent s’ils peuvent boire ton urine, car il n’y a pas d’eau. C’est tout ce qu’ils ont à leur disposition. J’en ai vu d’autres implorer et mourir sous mes yeux, et ce au quotidien tout au long de la traversée du désert. Il faut vraiment être solide pour survivre. Sinon, tu es mort. J’ai vu beaucoup d’hommes tomber, on ne les attendait pas, on poursuivait notre marche.

« J’ai imploré la mort mais elle n’a pas voulu de moi »

 

A un moment donné, des gens se sont mis à nous pourchasser, alors on a sauté dans une camionnette, on a eu de la chance de tomber sur un chauffeur intelligent. Il nous a dit de nous coucher pendant qu’on nous tirait dessus. C’était des Libyens j’en suis sûr ! Ils attrapent les gens et les enferment pour leur extorquer de l’argent, les tabasser ou les torturer. Quand on est arrivé à Bani Walid, ils nous ont vendus. Bani Walid c’est l’enfer. J’ai vu des morts, j’ai imploré la mort mais elle n’a pas voulu de moi. Lors de mon premier passage à Bani Walid, ils ont descendu quelqu’un sous mes yeux en prison. 

Ils nous demandent de l’argent et nous laissent le temps d’en trouver ; mais un jour, un Arabe est arrivé et a descendu devant moi des garçons qui étaient là depuis longtemps. Si tu restes trop longtemps en prison ils procèdent au nettoyage. Le nettoyage consiste à tirer sur les anciens et à les jeter dans le désert. Un jour ils ont tiré sur un de mes amis sous mes yeux, car il ne pissait pas assez vite. La balle l’a touché à la jambe. Ils l’ont visé à nouveau pour le tuer. Lorsque les corps tombent, ils nous demandent de les emmener dans le désert. Un jour, j’ai remarqué qu’un des garçons n’était pas mort. On a décidé de ne rien dire. J’avais quelques dinars sur moi. Je les lui ai mis dans la poche et lui ai dit de s’enfuir. Malheureusement il est mort peu de temps après en raison de sa blessure et du poison.

« De nombreux garçons meurent. C’est ça l’enfer libyen »

 

En voyant cette dame qui est maintenant devant moi, je repense aux Libyens là-bas qui demandent aux femmes de déshabiller les hommes, de leur donner un bain et de faire en sorte que leur membre tienne tout seul. Je suis un homme et je n’ai pas besoin qu’une femme me donne un bain. Ils disent aux femmes d’aller doucement, doucement… Si l’homme reste sans réaction, il est foutu. On lui coupe le sexe. De nombreux garçons en meurent. C’est ça l’enfer libyen.

Mon tour est arrivé le jour suivant lorsqu’un homme est entré dans la prison pour prendre des hommes pour travailler. Je lui dis que je pouvais faire le travail, que je pouvais faire n’importe quoi. J’en profitai pour m’échapper. Je rencontrai des hommes noirs qui travaillaient dans la ville d’à côté, et me joignais à eux. Je me mis à travailler sans relâche car mon frère était resté en prison et il fallait que je paie pour le faire sortir.  Une fois qu’il sortit de prison nous sommes tous partis à Tripoli. On y resta un moment dans un grand garage. Ils tuaient des noirs. J’ai tenté d’aller au bord de la mer où ils me capturèrent à nouveau et je retournai donc à Bani Walid, où un homme noir me vendit à un Arabe. J’y suis resté sept ou huit mois.

Mis en esclavage

 

Lorsque je me suis enfui de prison pour la deuxième fois, je travaillais à nouveau pour les mêmes personnes. J’étais dans un état tellement pitoyable que ces gens m’ont envoyé directement au bord de la mer en taxi. La situation s’est envenimée à Sabratha où ils ont capturé beaucoup de gens dont un grand nombre est tout de même parvenu à s’échapper ; mais ceux qu’ils ont repris ont été emprisonnés pour être ensuite expulsés. Tout ça c’est tout bon pour eux. Dès qu’ils voient un groupe de noirs à Tripoli ils les capturent. Nous sommes là pour travailler, pour mettre de l’argent de côté et quitter le pays. Là-bas tous les noirs sont rassemblés pour faire des travaux de nettoyage divers et variés. Avec un peu de chance ils vous paient. Sinon, ils vous livrent à la police. Pour survivre il faut manger. Un jour, des hommes nous ont à nouveau capturés et nous ont emmenés dans des casernes. J’y suis resté deux ou trois jours lorsqu’un homme est arrivé, à la recherche d’hommes en bonne santé pour travailler pour lui. Ils utilisent les noirs comme des bêtes de somme, comme des esclaves. Ils nous disent de travailler, donc je travaillais sans relâche pour gagner assez d’argent pour la traversée.   

« Les Libyens ont ouvert le feu sur nous, sans que les sauveteurs ne puissent intervenir »

Lorsque nous sommes montés sur le bateau il y a eu un problème. Les sauveteurs sont arrivés en premier, puis les garde-côtes libyens ont fait irruption. L’équipe de sauveteurs a fait marche arrière. Les Libyens ont ouvert le feu sur nous, sans que l’équipe de sauveteurs ne puisse intervenir, la situation était désespérée ! Personne n’est mort, mais beaucoup ont été blessés, il y a eu des jambes cassées, etc. Et là, comble de malchance, ils nous ont ramené en Libye. A ce moment-là, le désespoir m’a gagné. C’était l’année dernière.

Une fois sur le bateau, les libyens nous ont tabassé avec des tuyaux en caoutchouc  ou en fer. Ils nous frappaient avec tout ce qui leur tombait sous la main. Parfois ils nous battaient à mort. J’en ai été le témoin. Une fois à terre, ils nous ont emmenés dans un centre de détention. Ils ont d’abord voulu nous mettre dans une prison clandestine mais le garde leur a dit qu’elle était pleine.

Ramené en Libye

 

Je n’espérais qu’une chose : rester en vie. Si je devais rentrer chez moi eh bien je reprendrais ma vie d’avant. C’était un mauvais jour où les passages à tabac s’enchaînaient et je me sentais mal. Ils nous ont dit de sortir et de jouer au foot. J’étais encore malade mais l’homme m’a ordonné de jouer. Je me forçais donc à jouer. Après le match, un homme nous a emmené dans une autre prison. Il n’avait pris que des Sierra Léonais et des Gambiens. Nous nous sommes mis en marche. Un Libyen a alors remarqué que j’étais faible. Il m’a demandé si je voulais retourner en prison, je lui ai dit non. Il m’a dit qu’il n’aimait pas la façon dont on nous traitait en prison. Il m’a dit deux fois de sortir de la voiture. C’était sûrement un coup monté. Si je suivais son ordre, les choses empireraient pour moi. Il a appelé son frère qui arrivait dans une BMW aux vitres teintées. Il nous a dit de monter dans la voiture.

Je regardais la porte par laquelle je pourrais éventuellement m’enfuir si les choses tournaient mal. Il nous a emmené en prison où l’on m’a dit d’aller travailler dans la boutique de son frère. Mais je lui ai dit que j’étais à bout de force et qu’il devait donc me laisser me reposer et qu’après j’irais travailler pour lui. Alors cet homme m’a emmené dans une des maisons de son frère. Il m’a donné son numéro de téléphone et m’a dit de l’appeler pour travailler. J’ai laissé tomber le numéro de téléphone, j’en avais assez. Je savais que j’allais travailler, être vendu et travailler à nouveau.

20 heures perdus en mer

 

Ce n’est qu’à ma deuxième traversée que j’ai été finalement secouru par les garde-côtes italiens. Ils ont été très gentils avec nous. Ils n’ont pas vu notre bateau tout de suite. Nous avons tenté de nous rapprocher d’eux et ils ont fini par nous voir. Ils nous ont dit de nous calmer car nous étions tous en pleurs, après avoir passé une vingtaine d’heures sur l’eau. Il faisait encore nuit lorsque je les ai vu installer l’échelle. Ils ont d’abord fait monter les femmes et les enfants et nous les hommes, en dernier. Lorsque ce fut le tour des hommes, nous avons tous été pris de panique, car nous savions ce qui était arrivé la fois précédente, lorsque les garde-côtes libyens nous ont reconduits en Libye. Pendant la bagarre, le bateau s’était brisé. Tout le monde avait coulé. On se battait pour se maintenir hors de l’eau. Et j’avais finalement réussi à me hisser sur le bateau des sauveteurs. Personne n’est mort.

Nous sommes encore plus traumatisés depuis que l’Italie nous rejette. Nous ne voulons pas retourner en Libye, pas plus que nous ne voulons aller à Malte. Mais grâce à Dieu, nous sommes en vie. Si l’Italie nous rejette, c’est qu’il y a une raison. Il doit bien y avoir une explication à tout cela. Je sais que Dieu a un meilleur plan pour nous. L’Italie ne veut pas de nous mais Dieu, lui, ne nous abandonnera jamais. Je suis tout excité d’aller en Espagne ! La magie de Dieu m’a bien protégé pendant la traversée. Alors je peux bien lui faire confiance pour notre avenir en Espagne.

* Le nom et la photo ne correspondent pas à la personne qui témoigne ici de manière à protéger son identité et sa sécurité.

Photo : Kenny Karpov / SOS MEDITERRANEE

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