Coralie, bénévole, membre du CA
14 février 2020

« On s’est rendu compte que l’argent récolté, ce n’était que de l’argent citoyen ! C’était un bateau citoyen ! »

Alors que SOS MEDITERRANEE fêtera ses cinq années d’existence en mai 2020, Coralie, 30 ans, bénévole de la première heure aujourd’hui membre du Conseil d’administration, se rappelle les premières émulations de la poignée de citoyens qui, indignés de voir des milliers de personnes mourir en mer sans secours, se sont mobilisés autour d’un projet qui leur a d’abord paru complètement utopique. Coralie répond à trois questions.

 

1. Quel a été le déclencheur de votre engagement?

Je pense que c’est la publication de la photo du corps du petit garçon syrien, Alan Kurdi, 3 ans, retrouvé sur la plage de Bodrum en Turquie en septembre 2015, qui a vraiment ému l’opinion publique et nous a fait prendre conscience collectivement du drame qui se déroulait en Méditerranée. 

Le hasard a voulu qu’au même moment, en septembre 2015, les deux fondateurs [de SOS MEDITERRANEE] intervenaient au Mucem pour lancer leur campagne de collecte de dons avec le fol espoir de rassembler 1,2 millions d’euros pour financer un bateau de sauvetage. Ce drame du petit Alan a alerté de nombreux citoyens qui se sentaient impuissants devant cette catastrophe humanitaire. La proposition de Klaus et de Sophie*, présentée avec un tel charisme et une détermination à toute épreuve, leur donnait le pouvoir de faire quelque chose. 

La folie de ce projet, avec à sa tête des gens aussi sérieux que motivés, leur naturel déconcertant… Tout cela était nouveau, enthousiasmant ! La conférence m’a retournée, j’étais très émue, et je suis allée directement faire un don sur le site de crowdfunding et je pense que beaucoup d’autres l’ont fait. Je venais d’arriver à Marseille, je n’avais pas encore de travail, j’ai offert mon temps : tout le monde était bénévole. J’ai commencé à organiser des petits événements dans des bars, à faire la communication… Pendant six mois, j’ai travaillé plus de 35 heures/semaine comme bénévole, nous étions tous tellement à fond… ça nous prenait tellement les tripes !

2. Comment se sont déroulés les débuts de l’association d’un point de vue mobilisation ?

Quelques mois plus tard, on organisait l’arrivée de l’Aquarius à Marseille, devant le Mucem. Pour ‘l’Open boat’, environ 1000 citoyens sont venus de partout pour visiter leur navire de sauvetage. Car c’était bien nous, les citoyens, qui avions réussi à mettre à l’eau cet immense navire. Encore aujourd’hui, pour moi, cela demeure un exemple du pouvoir d’agir des citoyens, même sur des objectifs qui peuvent paraître fous, utopiques. En tant que citoyens on peut vraiment faire quelque chose : l’Aquarius en est la preuve!  Je revois l’Aquarius quittant le port de Marseille en fin de journée : le bateau a fait retentir sa sirène et tout le monde pleurait. Encore aujourd’hui, j’ai le trémolo dans la voix lorsque j’en parle !

Il y avait des gens extrêmement compétents qui nous appelaient chaque jour pour nous offrir des services bénévolement. On n’était rien : une association qui n’avait pas deux mois d’existence, inconnue au bataillon et sans bateau, avec pour seule force une poignée de bénévoles qui demandaient des sous aux gens ! Et par la force de persuasion, on y arrivait. C’était incroyable !

Ci-dessus, Coralie lors d’une intervention pour sensibiliser le public aux naufrages en Méditerranée

Chaque jour on regardait les fonds arriver sur la page d’Ulule et on hurlait. On actualisait la page et l’argent rentrait encore et encore ! Tous ces gens qui y croyaient, qui donnaient, qui partageaient le même constat, la même indignation, la même envie d’agir, et qui agissaient. Ça nous redonnait de l’énergie pour le mettre à l’eau ce bateau ! A la fin, on s’est rendu compte que l’argent récolté, ce n’était que de l’argent citoyen. C’était un bateau citoyen! 

L’ambiance était survoltée. On quémandait une prise de parole à toutes les projections où il était question de Méditerranée, et le plus fou c’est que les réalisateurs nous disaient oui ! Il y avait plein d’occasions improbables où les gens nous offraient des salles gratuites, une tribune, de l’aide logistique… J’étais vraiment époustouflée de voir à quel point les gens étaient solidaires !

 

3. Comment expliquer cet enthousiasme des bénévoles encore aujourd’hui?

Trouver un bateau, le financer et sauver des vies… C’est un projet très concret. Sur les premiers stands que nous avons tenus, alors que l’on n’avait même pas de bateau, tout le monde se sentait concerné : des gens meurent alors on va les sauver, c’est limpide ! On avait la conviction que pour une fois, nous, en tant qu’individus, on pouvait vraiment faire de belles et grandes choses ! On pouvait y arriver ensemble !

Encore maintenant, ils font du bénévolat pour quelque chose qui n’est pas tangible : contrairement à d’autres associations, où un contact humain avec les migrants est possible, ici nous ne leur proposons pas cela… Et pourtant on a réussi à créer cette dynamique bénévole extrêmement forte, simplement pour témoigner, récolter des dons, tenir des stands, sensibiliser dans les écoles. Certains bénévoles tiennent un stand un week-end sur trois, parce qu’ils sont convaincus de l’importance de collecter pour le bateau et de témoigner. C’est moins gratifiant que d’aller donner de la soupe à des personnes dans le besoin tous les samedis matin. Mais ils sont là.

En fait, je pense que cet enthousiasme s’explique d’abord par un mandat très simple et concret : sauver des vies ! Ici on sait où va notre argent quand on donne car il y a ce bateau. Notre mission parle à l’humain en chacun de nous : je vois quelqu’un qui se noie, j’agis.

Coralie, à droite, en compagnie des premiers bénévoles, y compris Sophie Beau, au centre, aujourd’hui directrice générale de SOS MEDITERRANEE France. 

Le sauvetage en haute mer est un secteur très pointu, très spécialisé : cela implique un fond de compétences qui n’est censé être le fait de « gens ordinaires ». Par définition, cette mission n’incombe pas a priori aux citoyens, c’est le rôle des Etats d’assurer la sécurité des personnes en mer. C’est vraiment la force du collectif qui a permis de rendre cette utopie possible, de mettre à l’eau ce bateau citoyen !

Même si on parle d’un engouement rapide pour SOS MEDITERRANEE, il ne faut pas oublier non plus que nous nous sommes souvent pris des portes. Mais les bénévoles sont tellement convaincus que même devant un projet aussi fou, malgré les refus répétés et l’incrédulité voire l’hostilité de certains, nous y sommes arrivés ! C’est un besoin, une nécessité, une urgence d’agir que chacun ressent le besoin de porter cette mission de témoignage qui nous anime. Nous déplacerions des montagnes pour que cette injustice soit connue de tous !

*Klaus Voguel, Allemand, capitaine de la marine marchande, et Sophie Beau, Française, chargée de projets sociaux et humanitaires, fondateurs de l’association.

** L’opération de recherche et de sauvetage Mare Nostrum, menée par l’Italie, a été abandonnée en octobre 2014 en raison du manque de soutien de l’Union européenne. La mortalité en Méditerranée centrale s’est accentuée.