Portrait de Bertrand Thiébault
21 juillet 2016

Quand les nouveaux SAR montent sur la passerelle pour la première fois, ils sont souvent fascinés par le panneau de boutons et d’écrans qui longe l’endroit. Mais les “anciens” leur apprennent assez vite que “les instruments les plus importants sur cette passerelle, ce sont les fenêtres.” 

Il n’a pas fallu longtemps à Bertrand Thiébault pour se rendre compte de la vérité de ce constat. “Les deux [premiers] bateaux de ma première rotation, je les ai vus de mes yeux,” se rappelle le marin de 42 ans. “La première fois, j’avais un doute. J’avais vu un truc qui bougeait à l’horizon. C’était le capitaine qui m’avait dit que c’était le mouvement d’un bateau [pneumatique] qui flottait sur les vagues. Pendant le deuxième sauvetage, le sauvetage de nuit, j’ai vu une ligne blanche sur l’horizon reflétée dans nos lumières. Je n’osais pas bouger par peur de la perdre… Quelques minutes plus tard, on a tous vu des bras et des têtes. C’est ça, l’image qui restera gravé dans ma mémoire.”

Une fois les bateaux de sauvetage déployés, Bertrand devient l’un des premiers point de contact pour les rescapés. “ Je me souviens d’avoir échangé dans le bateau avec un jeune Ghanéen qui me disait qu’il ne savait pas s’il était vivant ou mort,” se rappelle Bertrand Thiébault. “Le son d’un sauvetage , c’est quelque chose qui est difficile à imaginer. Dans le bateau tu entends des cris, des pleurs… Puis au fil du temps, tu vois ces visages inquiets qui deviennent souriants. Avant, pour moi, la question des migrants était une question abstraite, irréelle. Là, dans le bateau, ce n’est pas irréelle, parce que tu as des êtres humains devant toi.”

Pour Bertrand Thiébault, marin professionnel et habitué au monde des voiliers, la décision de consacrer une période de sa vie au sauvetage en mer a été facile. “La situation actuelle des réfugiés est révoltante et donne envie d’agir. Comment peut-on mourir en mer en 2016 en étant chassé de partout ? Il y a aussi un certain discours ambiant fascisant en Europe que je trouve insupportable. Si au lieu de ne rien faire on parle et on agit, on devient plus forts ensemble… Et ceux qui sont contre commencent à parler moins fort.”  

Le marin a d’abord agi en formant une association en faveur des réfugiés chez lui à Lauret, dans la région de Montpellier. Et puis est venu l’expérience SOS MEDITERRANEE. “Pour un marin, ça fait sens. Nous avons tout ce qu’il faut pour aider, en étant là au bon endroit, au bon moment.”   

“J’ai un fils de 10 ans,” poursuit Bertrand Thiébault. “Il sait que des gens fuient et qu’ils meurent en mer. On vit un moment historique, et quand il me demandera en 2025 ce que j’ai fait pendant que des gens mourraient en mer, je veux pouvoir lui répondre.” 

Par Ruby Pratka

Crédits Photos : Yann Merlin