Un portrait

Une histoire

Saïd*

Guinée

Pays d'origine

16 ANS

Âge

09/09/2019

Date de sauvetage

« J’aurais sauté à l’eau si un bateau n’était pas arrivé »

Saïd* doit avoir « 16 ou 17 ans, quelque chose comme ça ». Nous nous sommes rencontrés sur le pont de l’Ocean Viking. Je l’ai aperçu plusieurs fois avant que nous nous parlions vraiment. Nous nous étions croisés et avions échangé quelques politesses, tout au plus. Mais cette nuit-là, quand je suis arrivée sur le pont, les rescapés étaient dans les abris et se préparaient à dormir. Il était resté tout seul dehors et se tenait assis sur une petite marche.

Au début, nous avons échangé très simplement. Il m’a demandé quelles photos j’avais publiées ces jours-ci. D’où je venais, quand nous allions débarquer… C’est à ce moment-là que la conversation a pris un tournant différent. Je me suis rendue compte que ce n’était plus à moi de répondre aux questions. Mon rôle, maintenant, était d’écouter.

« La vie n’est pas facile », commence le garçon. Il le répète en regardant l’horizon. Il n’essaye pas de m’expliquer ou de me convaincre. Il ne fait que constater.

 « Je ne vais pas bien, tu sais »

« Ce qui s’est passé en Libye est trop difficile à expliquer. Quand ça ira, j’espère qu’un journaliste me tendra un micro pour tout raconter. J’espère qu’on m’invitera à de grandes tables pour expliquer tout ce qui m’est arrivé, à moi et à mes frères. Mais maintenant, je ne peux pas… parce que je ne vais pas bien, tu sais ». J’ai hoché la tête. Je savais.

La cicatrice de 2 à 3 centimètres sur son sourcil droit parle d’elle-même, celle sur son genou droit, plus longue encore, et les nombreuses marques sur sa jambe gauche témoignent des violences qu’il a dû endurer.

Saïd a quitté la Guinée en 2016, à 13 ou 14 ans. Il ne m’a pas dit exactement comment il est arrivé en Libye. En voiture, en bus… Il ne se souvient plus des pays qu’il a traversés ni de la date de son arrivée en Libye.

« Je ne sais pas exactement combien de temps j’ai passé en Libye. Après avoir quitté la Guinée (Conakry), j’ai passé 6 à 8 mois dans une prison. Je ne sais pas où », dit-il en me regardant directement pour la première fois.

« Je n’ai pas parlé à ma maman depuis très longtemps »

« Je n’ai pas parlé à ma maman depuis très longtemps, tu sais. C’est une des choses les plus difficiles. Elle a plus de 70 ans. Elle commence à être fatiguée. Je suis son seul enfant. C’est très difficile de savoir que personne ne s’occupe d’elle. C’est pourquoi j’ai quitté la Guinée au tout début…. pour trouver un emploi et pouvoir lui envoyer de l’argent. »  Saïd s’arrête.

« Si je pouvais lui parler bientôt, quand nous débarquerons, ce serait beau, ce serait comme la voir de mes propres yeux. J’espère que ça va arriver », répète-t-il.

« J’ai du mal à dormir. Je n’ai pas encore réalisé que je ne suis plus en Libye. Parfois j’oublie, mais quand je regarde autour de moi et que je vois SOS MEDITERRANEE écrit, comme sur ton T-shirt, ou quand je vois un Européen, comme toi, je me sens mieux. Je sais que je ne suis plus en Libye. Mais ensuite j’oublie. Je doute beaucoup de moi. Je n’ai pas vraiment dormi depuis mon arrestation. En Libye, des gens sont tués sans raison. Si quelqu’un te regarde et que tu dis un mot, il peut te tuer. Tant de morts… Tant de blessés. Nous ne sommes plus des humains en Libye. Je ne peux pas expliquer ce qui s’est passé. Même moi, je ne le comprends pas ».

« J’ai même pleuré trois fois ».

Cette histoire, qu’il revit devant moi, est soudain trop lourde. Il me regarde à nouveau et revient à la réalité…

« Avez-vous des nouvelles du Josefa ? [le voilier de 14m qui les as secourus avant leur transbordement sur l’Ocean Viking le 9 septembre 2019] Dieu merci, ils étaient là. Avant leur arrivée, je pensais sauter dans la mer. Le petit bateau pneumatique dans lequel nous étions entassés a commencé à se remplir d’eau, le moteur ne fonctionnait plus très bien. J’ai même pleuré trois fois. J’ai très peur pour mes « frères » qui sont toujours coincés en Libye. Qu’est-ce qui va leur arriver ? Moi je suis en sécurité, mais eux ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? Allez-vous continuer à sauver des gens ? »

Le rêve de Saïd est d’aller à l’école et d’être footballeur. Un numéro 10, au centre. « C’est mon rêve depuis que je suis petit. Peut-être que je serai aussi un politicien », dit-il.

Témoignage recueilli et rédigé par Laurence Bondard, chargée de communication à bord de l’Ocean Viking. Septembre 2019.

*Le nom et la photo ne correspondent pas au rescapé mineur qui témoigne ici afin de préserver son anonymat et sa sécurité.

Photos : Laurence Bondard / SOS MEDITERRANEE

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