Devoir de mémoire : pour le petit Alan et tous les disparus de la Méditerranée
15 septembre 2020

Il est de ces dates-anniversaires qu’on préférerait ne jamais devoir se rappeler et de ces images qu’on voudrait ne jamais avoir vues. La photo du corps sans vie du petit Alan Kurdi, échoué sur une plage turque le 2 septembre 2015, en fait partie. Ce cliché du petit garçon syrien permit à ce moment précis de mettre un visage, une histoire sur ce drame jusque-là anonyme de la noyade de milliers de personnes en Méditerranée. Les 366 victimes du naufrage d’une barque surchargée la nuit du 3 au 4 octobre 2013 à Lampedusa n’auront pas ce privilège : on n’en retiendra que les images de centaines de cercueils rudimentaires alignés dans un hangar contenant les corps repêchés par les autorités italiennes avant qu’ils ne sombrent. Et que dire de toutes ces femmes, de tous ces hommes et de ces enfants disparus dans le silence de l’immensité bleue sans témoin, à jamais rayés de nos mémoires? 

 

Lampedusa : 7 ans. La nuit du 3 octobre au 4 octobre 2013, 366 personnes meurent noyées lorsque leur embarcation – avec à son bord plus de 500 personnes – chavire à quelques kilomètres des côtes de Lampedusa, en Sicile. Ce sont des pêcheurs qui secourent les premiers naufragés. En réponse à cette catastrophe, l’Italie décrète une grande journée de deuil national. Le même mois, elle décide de lancer Mare Nostrum, opération militaire de sauvetage en mer menée par les autorités italiennes qui va secourir quelque 150 000 personnes en un an. Mais le 31 octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération en raison notamment du manque de soutien de l’Union européenne. 

Alan Kurdi : 5 ans. C’est le 2 septembre au petit matin que la dépouille d’un garçon de 3 ans, Alan Kurdi, est retrouvée sur une plage de Turquie. Vêtu d’un T-shirt rouge et d’un pantalon bleu, sa photo, devenue virale, fera le tour du monde. Son frère aîné de 5 ans, Galip, et sa mère, Rehan, sont également morts noyés ce jour-là. Seul le père, Abdullah, a survécu au naufrage de leur embarcation en mer Égée alors qu’ils tentaient de rejoindre l’île de Kos en GrèceAu total, douze corps seront retrouvés sur cette plage non loin de Bodrum. C’est la photographe Nilüfer Demir qui prend le cliché du petit Alan devenu un symbole de cette crise humanitaire en Méditerranée. Comme des milliers de Syriens, la famille originaire de la petite ville de Kobané, près de la frontière turque, fuyait les massacres perpétrés par l’État islamique. Dans les jours qui suivent, une mobilisation sans précédent de la société civile exhorte les politiques à agir face la détresse des réfugiés syriens. 

Même si cela est douloureux, il est de notre devoir de nous rappeler pour la mémoire de tous ces disparus de la Méditerranée et pour celles et ceux qui, demain, tenteront cette périlleuse traversée. Car devant une Europe amnésique et sourde à nos demandes pour une véritable flotte de recherche et de sauvetage en Méditerranée, la société civile se mobilise pour agir et empêcher d’autres morts. Alors que SOS MEDITERRANEE se prépare à souligner ses cinq ans d’existence, Fabienne Lassalle, directrice adjointe, se rappelle des débuts de l’association : « quelques jours après le lancement de la première campagne de crowdfunding (financement participatif) de SOS MEDITERRANEE destinée à réunir des fonds pour affréter un bateau pour porter secours à ceux qui se noient aux portes de l’Europe, la publication de la photo du petit Alan a provoqué une véritable onde de choc en Europe et donné beaucoup de visibilité à notre campagne. La preuve cruelle et bien réelle de ce que nous dénoncions et l’urgence à agir était ainsi jetée à la face du monde : des enfants, des femmes, des hommes se noient en Méditerranée pour fuir la guerre ou la misère, dans l’indifférence générale. C’est bien cette prise de conscience collective qui a permis de mobiliser autant de citoyens autour de notre projet et d’affréter l’Aquarius. » 

Aujourd’hui, alors que les ONG de sauvetage sont empêchées de sauver des vies en mer, ce devoir de mémoire pour toutes les victimes de l’indifférence est plus que jamais nécessaire. C’est le propos du film Numéro 387 – Disparu en Méditerranée, qui suit le parcours de personnes qui tentent de retrouver la trace des disparus de la Méditerranée : de nombreuses séances de projection sont prévues le 3 octobre (date anniversaire du naufrage de Lampedusa) dans toute l’Europe et seront suivies d’une discussion avec des membres de SOS MEDITERRANEE. 

 

Crédits photos 

  • Couverture : Fabian Mondl / SOS MEDITERRANEE 

  • Petit Aylan : Nilüfer Demir / Dogan News Agency / AFP 

  • Cérémonie à Lampedusa : Roberto Salomone / CE / AFP