Carnets d’Hippolyte BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 15 – That’s for my people

Chaque lundi soir, Pascal se retrouve avec ses amis sur les grandes tables de la Friche de la Belle de Mai. Se réunir, manger, boire, rire, partager, refaire le monde, garder du liant. 

Les tables sont pleines, plus bas des jeunes profitent du Skate Park bouillant ou balancent des dunks rageurs à la Shawn Kemp sur le panier taille adolescent. 

Moments simples du vivant.  

Pascal, c’est Imhotep, le beatmaker et architecte musical génial du groupe IAM.  

À l’instar de ses morceaux, sa mémoire est toujours juste, et se nourrit de l’histoire. 

« À l’époque j’avais vu un bateau qui avait sauvé des personnes en mer, le capitaine Martinez je crois, une histoire incroyable… là on avait commencé à entendre parler des migrants. De la situation au nord de la Libye. Dans la mer qu’on partage tous ensemble. SOS MEDITERRANEE s’est monté dans la foulée. Ça a tout de suite été évident d’agir à leurs côtés. » 

Il n’a pas oublié ce Capitaine Martinez. Et ce mois d’août 2014. 

Toujours comprendre le passé pour construire l’avenir. Et faire résonner les bases. 

Ce jour-là, le remorqueur de plateformes pétrolières Leonard Tide croisera des bateaux en détresse au nord de la Libye. Le Capitaine Martinez racontait l’histoire, brute. « La première journée, on a eu 784 personnes. Cela s’est reproduit trois autres jours. A chaque fois, mon employeur, Tidewater, numéro 1 mondial des navires dédiés à l’offshore, m’a soutenu, me disant : « Même si le client gueule, on sera derrière toi. » Porter secours, c’est une obligation. » 

4 jours de sauvetages en un mois, 1828 migrants sauvés d’une mort certaine en Méditerranée. Avec un navire et ses 18 personnes d’équipages ni équipées, ni préparées pour cela. Une folie. Le Capitaine Martinez, un héros pour beaucoup, un marin et un citoyen tout simplement, qui a refusé la médaille d’honneur maritime car il faisait juste son devoir : porter secours aux personnes en détresse en mer. 

Depuis que SOS MEDITERRANEE s’est créée, 31 799 personnes ont été secourues en 37 mois d’opération de l’Aquarius et de l’Ocean Viking en 5 ans, dans l’axe migratoire le plus meurtrier au monde. Un axe qui ne désemplit pas d’exilés, toujours plus nombreux. Mais un axe qui se vide de bateaux de secours, forcés de rester à quai. Comme jamais auparavant. 

Le flow a changé, la musique n’est plus la même. 

Le visage d’Imhotep a lui aussi changé avec le temps, des rides sont apparues au bord de ses yeux clairs, mais un regard constamment lucide et révolté sur la façon dont tourne le monde. 

« Ça se passe chez nous, là, de l’autre côté de la mer. Des fois tu te dis que les gens n’y pensent plus, alors que ça devrait être une priorité, mais bon tout est fait pour, et puis là avec le virus, on ne parle plus de tous les dégâts autour, des problèmes laissés à l’abandon… c’est bien de protéger les gens mais bon, ça risque de faire plus de mal que de bien tout ça… » 

Il reste toujours aussi admiratif de l’engagement des équipes de SOS MEDITERRANEE qu’il suit depuis le début.  

« C’est fou le courage de ces gens pour sauver ces personnes en mer, avec tous les blocages auxquels ils font face… Tu te dis que les États quand même, au regard de l’histoire des migrations, des exils… on a oublié les moments où nous aussi on avait besoin d’être sauvé, imagine si on avait eu ces réponses-là, ces murs… » 

Une enceinte balance du son sur la table au milieu des agapes et des bouteilles vides.  

K-Dy, dont c’est l’anniversaire, et sa compagne italienne jouent les MC 

Le choix n’est pas anodin : NTM fait bouger les têtes en plein cœur de Marseille. 

« Cause that’s my people I make music for my people 

(…) 

Porter le maillot frappé du sceau de ceux qui dérangent  

Est un honneur pour moi, comme pour tous mes complices  

Mes compères, mes comparses, fatigués de cette farce  

On veut ne veut plus subir et continuer à jouer les sbires  

Sache que ce à quoi j’aspire, c’est que les miens respirent  

Cause that’s my people I make music for my people » 

Ça se taquine gentiment, My Boy Lollipop prend la suite du DJ set improvisé, tout le monde chante, rit. Une bouteille de champagne claque. 

C’est l’heure du reggae et de Red Red Wine, Bob Marley. 

K-DY lève les bras au-dessus de sa tête et dodeline. Il y a un temps pour tout. 

La terrasse est vide, nous sommes les derniers, il faut penser à vider les lieux. En 5 minutes tout est rangé, la musique éteinte mais le flow perdure en chacun d’eux.