Carnets d’Hippolyte BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 18 – “Avanti Tutta !”

29 Juillet  

Avec Gavino nous retrouvons Mat’ à l’aéroport, t-shirt Jazz We Can en étendard, en attendant de revêtir celui de SOS MEDITERRANEE. Il est arrivé d’Anvers dans la matinée, échappant à 2h30 du matin avec fougue au vol de ses papiers. « First time in my life this happens’ ! This guy wanted to take all my money and papers ! I said : NOT TODAY and I walked away !* » 

Mat’ ne perd pas de temps. Après des mois sur des navires de dragage à sillonner les mers, sa conscience écologique lui montre logiquement la sortie. À 27 ans, il va démarrer sa cinquième rotation à bord de l’Ocean Viking, comme Deck Chief « tout ce qui se passe sur le pont, pour l’accueil des rescapés ». Son rêve est d’être capitaine, Gavino lui vient de quitter son bateau pour rejoindre l’Ocean Viking. 

« So you are Captain ?  

  • No, I’ve got my boat. 

  • So you are your own Captain ! Wow ! Sailing boat ! My dream !* »  

Julia, la responsable communication de SOS doit nous rejoindre dans deux heures, la plage est à deux pas. « On va prendre la voiture » à pied il faudrait traverser la voie rapide et nous avons décidé d’adopter le « NOT TODAY » pour rester en vie aujourd’hui. 

Une bande de sable s’étend à l’infini depuis le port industriel de Catane et ses grues immenses, ébauches de monstres du Loch Ness métalliques sortant des eaux d’un vert troublant. Derrière nous, la ville, les voitures, et l’Etna majestueux. Devant nous des corps alanguis sur des transats colorés, brûlant au soleil de midi. Il ne manque qu’Aldo Maccione roulant des mécaniques pour parfaire cette carte postale italienne que l’on pensait disparue. 

Aeronautica Militare, Guarda de Finanzia : les plages sont privées et réservées aux organismes d’état. Nous préférons taire notre destination, il fait déjà suffisamment chaud, et nous cherchons de l’ombre avant tout.  

Quelques petits radeaux de secours barrent notre route. « Ah ben tu vois qu’il y en a qui prennent la mer » 

Nous nous arrêtons sur une bande de sable libre entre deux concessions privées. Le soleil à quatre-vingt dix degrés n’offre aucune ombre à l’aplomb des palissades, juste quelques détritus qui ne réclament plus rien. 

Il est plus que temps de retrouver Julia qui arrive de Berlin, où elle officie en tant que responsable communication des opérations à partir du bureau de SOS Allemagne. 

Mat’ a déjà fait deux rotations avec elle depuis septembre. « She’s fluent in French, Impeccable !* » 

Ils sont heureux de se retrouver. La mer, le bateau, les missions, tout cela crée des liens, de ceux qu’il faut vivre pour les envisager. 

Leur dernière mission était celle du début du confinement. Ils étaient restés au port, sur le navire à Marseille durant un mois, avant de rejoindre leur domicile. Les blocages se suivent mais ne se ressemblent pas. 

En attendant un départ possible, nous prenons la voiture pour Porto Empedocle. 

« Ça risque d’être tendu là-bas. Ils ont débarqué 500 migrants sous une tente la semaine dernière, près du port… une centaine se sont échappés, les italiens parlent d’envoyer un bateau militaire. » 

Il faudra faire profil bas, nous ne sommes pas forcément les bienvenus.  

Nous traversons des terres brûlées sur des kilomètres, sans âmes ni maisons, d’où n’émerge aucune verdure. Un décor à la pellicule totalement jaunie, pour cowboy à la gourde trouée, avec comme seul espoir l’ombre de son chapeau. 

Nous évoquons nos lieux de vies loin de ces terres arides. Mat’ chez ses parents à Anvers, Julia à Berlin, cette ville « hors » d’Allemagne, moi à La Réunion avec mes manguiers et Gavino sur son île au large de Marseille 

« Tu vis dans ton bateau ? 

T’as pas de jardin ? 

J’ai le plus beau des jardins. » 

Une station-service au milieu de nulle part. Une pause, de l’eau, un journal, un réflexe, le journal, La Repubblica. 

Une double page sur les migrants. Les remontrances des Nations Unies. Les arrivées massives à Lampedusa. La visite de Matteo Salvini. De la lave sur un volcan. 

La page suivante : je reconnais le Moby Zaza, le Ferry où avait été mis en quarantaine à Porto Empedocle les 180 rescapés de l’Ocean Viking de la dernière mission. Il apparait de tout son long, reconnaissable avec ses personnages Looney Tunes sur chaque flanc, en demi-page couleur. 

« AVANTI TUTTA ! Fino a 166 partenze al giorno da e per le isole. Tutte garantie ! » 

« PLEINE VITESSE ! Jusqu’à 166 départs par jour vers et depuis les îles » 

*Traduction des textes en anglais: 

« Première fois de ma vie que ça m’arrive! Ce mec voulait me prendre tout mon argent et mes papiers! Je lui ai dit “pas aujourd’hui” et je suis parti. » 

« Donc tu es capitaine? / Non, j’ai mon bateau / Tu es ton propre capitaine alors! Naviguer sur un bateau! Wow! Mon rêve! » 

« Elle parle très bien français, Impeccable! »