Carnets d’Hippolyte, BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 4 – Le mur invisible

L’Ocean Viking était à quai depuis le 20 mars. 

La crise sanitaire confinait tous les navires de secours à terre. 

Les migrants eux, continuaient de prendre la mer. 

Sans personne pour les sauver. 

Sans personne pour compter les morts. 

Durant 3 mois. 

Les naufrages sont inévitables. 

Des corps sont retrouvés sur les plages de Tunisie. 

Des bateaux de fortune arrivent à Lampedusa. 

Le HCR indique une augmentation de 150% du nombre de départs. 

Du nombre de morts potentiel. 

Un printemps noir. 

La fable de « l’appel d’air » ne tient plus. 

Le 22 juin, l’Ocean Viking reprend la mer. 

Après une quatorzaine pour l’équipage. 

Le 25 juin, 2 bateaux en perdition sont sauvés au sud de Lampedusa. 

À des jours de navigation de la Libye. 

118 rescapés sont à bords. 

118 vies sauvées. 

Le 26 juin, l’Ocean Viking contacte les Centres de coordination des secours en mer à Rome et à Malte. 

Pour débarquer les survivants. 

Le droit les y oblige. 

Dans les « meilleurs délais ». 

Aucune réponse. 

Le 30 juin, 2 autres sauvetages, 63 nouveaux migrants sont à nouveau sauvés. 

181 migrants son à bord. 

Les mails et les appels au débarquement ont lieu chaque jour. 

2 réponses négatives. 

Silence, déni, durant 11 jours. 

Les frais de fonctionnement de l’Ocean Viking sont de 14000 euros par jour. 

L’équipe de SOS MEDITERRANEE est constituée de 22 personnes. 

L’équipage est de 9 marins. 

Un bateau qui tourne à vide durant 11 jours. 

11 jours d’attente pour débarquer. 

11 jours sans réponse des États. 

11 jours sans réponse de l’Europe. 

11 jours à attendre. 

Soit 154000 euros de frais qui auraient pu servir à sauver d’autres personnes en détresse. 

Le budget de SOS MEDITERRANEE provient à plus de 90% de fonds privés. 

154000 euros perdus en mer. 

L’Europe ne secourt pas les migrants. 

Pourtant le droit maritime l’exige. 

Comme notre histoire l’exige. 

Elle gagne du temps. 

Érige un mur temporel. 

Un mur aussi efficace qu’invisible. 

Un mur du déni. 

Un mur de la honte. 

Tente d‘épuiser les ONG. 

Au pied de ce mur, des noyés, bien réels. 

Les 180 migrants ont été débarqués en Sicile. 

Après l’urgence sanitaire déclarée par le navire. 

Après les sauts par-dessus bord. 

Après les tentatives de suicide. 

Après l’épuisement psychique. 

Physique. 

Un pied à terre.  

Enfin. 

Pour remonter 

À bord d‘un autre navire. 

Le Moby Zazà, en quatorzaine. 

Pour l’Ocean Viking également. 

14 jours de quatorzaine en Sicile. 

Après les 3 mois d’interruption durant le COVID 

3 mois qui ont empêché de sauver le moindre migrant 

3 nouvelles semaines de blocage. 

Pour «?se protéger?». 

Les migrants eux prennent la mer chaque jour. 

Plus personne devant eux. 

Juste un mur. 

Un mur temporel qui s’étend à l’infini.