Carnets d’Hippolyte BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 8 – Du piment dans les cheveux

Rendez-vous Cours Julien. J’attends Clément, un ami auteur de bd vivant à Marseille. 

Belle place, où quelques arbres apportent un répit face à ce soleil de plomb qui inonde le béton. 

Un grand Black sort de la fontaine centrale le corps détrempé. Il fait chaud, la mer semble loin. 

Clément arrive avec son masque fait main, finement décoré, une légère écharpe en flanelle autour du cou sur une chemise légère en lin blanc. Du peu que je le connais, Clément a toujours été classe en toute occasion, même en temps de protocole sanitaire, il ne sacrifie rien à son élégance. 

Fin et distingué. Comme ses albums.  

Voilà plusieurs années qu’il travaille sur le même sujet, suit le même fil, autour de la communauté vietnamienne disséminée à travers le monde, avant et après l’Indochine. 

Étant lui-même d’origine Vietnamienne, c’est une façon détournée de plonger dans son histoire. 

Nous nous installons à la terrasse d’un restaurant Palestinien où Clément a ses habitudes. Il fait attention à ce que nous ne mélangions pas nos verres, et retire son masque. 

Son dernier reportage en date, qu’il vient de terminer la veille de notre rencontre, l’a emmené jusqu’en Australie, puis surtout, en Nouvelle Calédonie où, de 1900 à 1940, les Français faisaient venir des travailleurs vietnamiens pour travailler dans les mines de nickel, que dédaignaient les Kanaks. Mains d’œuvre au nombre variant suivant la demande du marché. 

Leur promettant une chose qu’ils n’auraient pas en restant simple esclave dans leur pays d’origine : de l’argent et un avenir. Une histoire d‘immigration choisie sous la contrainte. 

Nous évoquons nos reportages, nos projets, nos enfants, nos amours, nos espoirs, nos regards d’auteur qui se croisent facilement. Comme ces histoires de migrations et d’exploitations toujours qui se répondent au fil de l’histoire.  

Je descends les escaliers multicolores du cours Julien. 

Un morceau de Rio de Janeiro à Marseille. 

Avec la Bonne Mère en coin, répondant au Corcovado. 

Et l’image de Zidane à celle du roi Pelé. 

Mais le foot est absent en ce moment à Marseille avec le Covid, je m’égare. 

Et aucun train autre que ceux de nos envies ne relie ces villes. Enfin je crois. 

Une devanture de magasin de coiffure me remet immédiatement les deux pieds en France.  

Enseigne années 60, bleue et rose bonbon, dans son jus, une antiquité, déjà, datée, mais d’une grande beauté. 

Mon reflet dans la vitrine indique qu’une visite capillotractée ne serait pas forcément superflue. 

Une demie ronde d’hésitation sur la place plus tard, je pousse la porte et pénètre les lieux. 

Le patron, casquette avec visière frontale, en plexiglass trop classe, dans son ensemble Carhartt, aux faux airs d’Akhenaton, me dit « je finis Monsieur », jeune homme replié sur ces jambes trop grandes pour lui, à la nuque déjà fraiche, surplombant un pardessus de protection anti-cheveux qui piquent, aux motifs floraux aussi vintage que l’enseigne. Mais l’ensemble est au diapason. 

« J’ai un autre client à 15h, dans 20 minutes, si vous avez de la chance il ne viendra pas, sinon il faudra attendre pour passer après lui. ». 

Je prends place. 

Chez un coiffeur, c’est bien connu, ça raconte sa vie. 

Et quand on a été privé de confessions durant trois mois, on se détend et on prend son temps. 

« Pas trop court où on se garde de la marge pour revenir avant 3 mois ? » 

« Ah non vazy, coupe bieng heing, mes cheveux c’est comme moi, ils ont besoin de res-pi-rer ! » 

Je ne sais pas si tout est customisé ou d’origine, mais je découvre des objets trop anciens pour les avoir croisé de mon vivant. 

« J’imagine que vous ne prenez pas la carte bleue ? » 

« Non, chèque ou espèce, bon allez pas à La Poste heing, ça va être blindé, mais y a une Béhènepé pas loin. Troisième rue à droite en bas en descendant » 

Lorsque je reviens, le client de 15h est arrivé, tellement grand et imposant que je ne vois presque plus l’intérieur de la boutique de l’extérieur. Une masse. Le verbe aussi haut qu’il est grand.  

« Ça va mal de partout, de partout. T’y as vu le chauffeur de bus là… » 

« Il a été agressé comment le chauffeur de bus ? » 

« Eh ben le problème, c’est que lui, il a voulu faire.. du « Civisme » tu vois, avequeu des voyous, faut y arrêter ces conneries, alors qu’il aurait dû appeler les gendarmes ! Et ben le gars il est dans un état maintenant.. de toutes façons le sud de la France, ça va finir comme en Espagne, en Espagne n’importe où t’es en insécurité, dans les marchés, dans les coiffeurs.. »  

Le coiffeur sourit derrière son masque, et lance une proposition, comme pour mieux entretenir la conversation. 

« Non mais moi ce que je ferais, je mettrai un brassard au client suivant, et il attendra devant la porte, comme le monsieur là.. » dit il en me regardant par le miroir qui me fait face, amusé. 

« Ah noooon… ça marche pas ! Tu vois c’est ce que je te disais y a 5 ans en arrière, c’est le résultat des années qu’on a laissé dériver. » 

Au même moment un scooter passe à toute vitesse devant la porte, sur la petite place, raidissant d’un coût la grande masse. 

« Tu vois ça ! Imagine il y a quelqu’un qui sort du salon, ben il se fait em-PALER. Et encore il aura TORD ! » 

« Bon tu vois, après les discussions que j’ai des fois avequeus les gens, elles vont être détourenées, moi je suis pas POlitisé, moi je suis citoYEN, je paye des imPOTS, je vois ce qui se PASse, au bout d’un moment faut le dire, on est dirigé par des pan-TINS ! » 

« Ça fait longtemps, c’est ça le prrroblème ! Ça fait vraiment trop longtemps là ! Là les gens ils pensent qu’avequeu le nouveau premier ministre, les choses elles vont changer … lui il est pire que DAThi, et que comment elle s’appelait là, la Guyanaise ? » 

« Taubira. » 

« Oui, ben lui il est pire ! Lui il va pas faire long feu heing. » 

« Ah écoute il a deux ans, deux ans c’est rien. » 

« OUiiii mais après il fait quoi Laurent ? » 

« Ben il va essayer d’imposer, de faire des trucs.. » 

« Non une fois qu’il y est plus ?… il sort des livres ! Ils font des émissions, oh ça va ?! T’y en a quatre de côté comme on dit à Marseille ? » 

L’attente est un spectacle, et l’acteur est bon. 

« Ah ! Ça le fait rire le Mônsieur, mais c’est vrai ! Moi je suis dans la sécurité, j’en ai vu PASser ! Un m’ment ça suffit ! Moi je paie des imPÔts ! Et ben eux, les yeux dans les yeux qu’ils viennent me dire qu’ils ont pas de comptes en Suisse ! Comme il avait dit Coluche, « j’arrêterai la politique quand ils arrêteront de me faire rire ! » Y a bientôt cinQUANte ans, t’imagines ! Il s’était présenTÉ… donc c’est plus d’actualité, c’est hisTOrique bientôt. Là là, il a dit le nouveau premier ministre, Castex, Cache sexe, ahah !.. 

« Moi il me faisait penser à Dupontel avec moins de cheveux et des lunettes » 

Le duo est en forme, la meilleure paire de joueurs qu’a connu Marseille depuis longtemps, mais je m’égare encore. 

« Il a dit qu’il allait revenir sur le dossier des reTRAItes… donc ATT-en-DEZ VOUS MESsieurs que en septembre les gilets jaunes font leur retour heing ! »  

« Tu vas avoir un mélange de Covid et de gilets jaunes à la rentrée là, ça va .. » 

« Là c’est plus des fumigènes qu’il faudra hieng ! » 

« Apparemment à Marseille les policiers n’étaient pas équipés de LBD, j’ai un doute quand même. 

« J’avais un client il me racontait qu’au Pérou, pour briser les chaines et les manifs, ils balancent de l’eau.. »  

« Oui les LANces à INcenDIE ! » 

« Oui, sauf que eux, ils mettent du piment dedans ! » 

« Oh Oh oh ! Du piment ! » 

« Tu m’as fait les oreilles bien dégagées là ? » 

Laurent, le coiffeur, lui passe un coup de souffleur sous pression. Autour du cou et sous le menton qu’il tient bien haut. Pour éliminer les cheveux résiduels. Place nette. 

« Moi j’ai travaillé pendant le Covid, je me suis pas arrêté heing ! J’aurai dû avoir une prime, j’ai rien vu heing, moi même quand je vais aux toilettes maintenant je dois payer !  

Je connais des gens qui travaillaient à Auchan, au début c’était 1000.. »  

« Et à la fin c’est 700.. » 

« Mais bon ils vont nous dire .. » 

« C’est l’effort ? » 

« Voiiiiilà ! Il a la bonne réponse le Mônsieur ! » 

« Ahah, c’est un politique » 

« Oui, incognito, et en short. Ah ah! » 

« Le problème c’est politique ou pas politique, les gens ils me disent « vous avez vu ailleurs ? » mais moi je m‘en fous d’ailleurs ! Mais moi ce qui me dérange c’est les pique assiettes ! Au jouereu d’aujourd’hui, tout ce qui peut se passer, faut arrêter les conneries, et dans deux ans y a des élections, qu’est ce qui va se passer ? Vous avez vu ce qui s’est passé à Marseille pour les municipales ? Les gens ils vont faire voter les grabataires, sur leur lit de MOrrrt ! Oh mais on est où là ! Faudra pas s’étonner que les gens ils votent plus heing ! » 

« Ils votent déjà plus trop là non ? » 

« Ce qu’il va se passer, on sera pas là pour le voir, enfin j’espère : La République, elle va tomBER ! ELLE VA TOMBER ! » 

« Au bout d’un m’ment faut que ça s’arrête, faut que ça s’arrête … Depuis quand y a le chanTIER là ? On dirait qu’on est dans les FaVELAS ! On est pas un pays où les gens ils crèvent de faim, enfin je pense heing ! Au bout d’un m’ment qu’est ceu qu’ils attendent ? Les fonds secrets ? Faut que quelqu’un il tape sur la table en disant tout ça c’est à nous, on loge les gens décemment dans les habitations et VOIlà ! » 

« Je vous fais pas la même coupe que Furio ? » 

« AhAH, non ! Laissez-moi un peu de cheveux ! » 

« Ah ça rigole ! Non mais c’est vrai qu’à MArseille c’est très compliqué, vous êtes en vacances ? » 

« Oui moi je suis là depuis une semaine, je suis de La Réunion.. » 

« Aaaah en VACances ! Ça doit être chaud La Réunion aussi ! » 

« La nuit ? » 

« Oui, c’est dangereux là-bas aussi non ? » 

« Ah non ça va, c’est plutôt tranquille en fait » 

« Ah bon ? Parce qu’ici tu sors pas la nuit heing ! Le jour ça va encore mais toi, comme t’y es là, tu sors la nuit, les gars ils te voient, on voit que vous êtes un touriste, vous êtes une PROie ! Ils te fondent DESsus et tu te retrouves à Poil heing ! C’est des GRAnds maLAdes ! Non mais je vous le dis, moi je suis Marseillais, ça fait 20 ans que je travaille dans la sécurité, Laurent il vous le dit aussi.. » 

« Non mais ça va tu peux te balader la nuit quand même.. et puis il sait se défendre y a des requins à La Réunion.. » 

« Y a des secteurs là nuit, y a des secteurs.. ils sont hors sujets ! Ils sont trop, comment te dire… t’y es une proie ! La dernière fois y en a un il voulait passer un barrage de sécurité, fallait faire le tour mais il voulait passer, je lui dis attention, tu me touches pas, tu me touches pas, en plus y a le coVID ! Tu me touches pas.. » 

« Il était peut-être très tactile heing » 

« Il voulait un câlin, ça a manqué pendant le confinement » 

« Ahah ! Bon messieurs, bonne fin de journée, bon séjour à Marseille.. » 

« Merci, je fais attention la nuit promis » 

« Vous avez visité un peu ? » 

« Oui un peu, et je suis au quartier du Panier là » 

« Ah ! Vous habitez là-bas, c’est un quartier un peu.. » 

« Calme ? » 

« Oui enfin y a eu des lépreux là-bas hein ! » 

« Ah ben là entre la lèpre et le covid faut choisir hein ! » 

« Vous avez visité quoi déjà le Frioul, L’Estaque » 

« Oui l’Estaque j’y étais déjà allé » 

« Par la mer ? » 

« Ah non » 

« Ah ben voilà, faut y aller par la mer à l’Estaque ! Elles ont repris les navettes hein ? » 

« Oui, elles ont repris, L’EStaque, les Goudes .. c’est magnifique ! » 

« Mais tu vois, lui il dit que c’est beau, peut être que nous on s’est juste habitué et qu’on le voit plus heing » 

« Oui mais quand on te dit que c’est dangereux, tu vas là, tu vas pas là, tu écoutes ! 

Bon allez je vous laisse messieurs, passez un bon séjour à Marseille et Laurent bon week-end ! » 

« T’en as beaucoup des personnages comme ça ? Parce que moi je reviens tous les jours ! »  

« Ahah oui, y en a un petit paquet, mais lui il est bon » 

« Vous êtes là pour le travail ? » 

« Oui je suis là en reportage, en fait j’attends pour embarquer à bord de l’Ocean Viking » 

« Ah oui ! mais il est pas bloqué en Italie le bateau là ? » 

« Si, en quarantaine, et j’attends toujours de savoir quand moi je vais pouvoir monter à bord, surtout que je vais devoir faire une période de quatorzaine aussi avant d’embarquer. » 

« Du coup tu visites Marseille ? » 

« Oui voilà, sauf la nuit du coup maintenant ! » 

« Ah ! Ah ! » 

Pas trop court derrière les oreilles pour moi hein.