« Franchement, ce jaune et cet orange ne me disent rien de bon ! »
21 septembre 2016

Notre escale dans les ports italiens a été brève. A Brindisi, nous avons débarqué 392 enfants, femmes et hommes : ceux que nous avions secourus trois jours avant, mais aussi ceux que nous avions transbordés d’un navire de la marine italienne et accueillis à bord de l’Aquarius. Les autorités de Brindisi ont travaillé rapidement lors de l’arrivée des rescapés : elles les ont débarqués et enregistrés en trois heures seulement, avec l’assistance à terre de plusieurs organisations : l’ UNHCR, l’ IOM, Save the Children ainsi que la Croix Rouge italienne.

Après 30 heures de navigation supplémentaire, nous avons mouillé à Catane (Sicile) où, là aussi, nous n’avons pu faire que le strict nécessaire : réparer les toilettes du pont réservées aux rescapés, s’occuper du matériel et autres tâches indispensables. Dès le matin suivant, nous étions à nouveau en mer, cap au sud, en route pour la zone d’intervention face aux côtes libyennes.

Mais d’après tous les bulletins météo, pas de bonnes conditions de navigation pour tous ceux qui cherchent à fuir la violence, la torture, le viol, et les traitements inhumains qu’ils subissent, que ce soit dans leur pays d’origine ou là où ils ont échoué : en Libye.

Le vent s’est rafraîchi au cours de notre traversée de près de 300 milles vers le sud de la Méditerranée. L’Aquarius est une respectable machine de presque 40 ans et ces vagues ne lui font pas peur. Elle avance vaillamment à travers les flots et le tangage est supportable. Enfin, pas pour tout le monde! Le mal de mer peut prendre n’importe qui, même le marin le plus aguerri. Certains en ont souffert quelque peu… D’autres sont tout simplement restés au lit. D’autres encore se sont régulièrement précipités sur le pont pour prendre l’air !

L’ équipe de Recherche et Sauvetage de SOS MEDITERRANEE se réunit tous les matins à 9 heures, après la relève des membres de  la  première équipe de quart de la journée, qui sont à l’oeuvre depuis 5 heures du matin.

« Je ne crois pas qu’on ait à faire d’opération de sauvetage ces jours-ci », remarque le coordinateur, Johann. J’ai vérifié les prévisions météo ce matin à 8 heures et j’ai téléchargé ces images », ajoute-t-il. Tous ensemble, nous regardons l’image qu’il projette sur l’écran de la télévision connectée de sa cabine : elle est presque entièrement verte.

« Le vert signifie des vagues d’ 1 à 1,5 mètres de haut », explique Johann.

Nous savons presque tous déjà cela, et que l’orange et le rouge des images suivantes ne sont pas de bon augure.

Yohann commente :

« Franchement, ce jaune et cet orange ne me disent rien de bon. Le vent va encore se renforcer et il vient du nord. Ce qui veut dire qu’il souffle en direction de la côte. Ils n’ont pratiquement aucune chance de parvenir à quitter les plages avec leurs canots pneumatiques ! »

« Nous avons une fenêtre de tir très brève demain matin, dimanche », annonce-t-il.

Chacun va se coucher tôt ce soir-là pour être prêt à l’aube. Dès 6 heures, plusieurs collègues sont sur la passerelle, à fouiller l’horizon aux jumelles pour repérer d’éventuels rafiots en détresse. Mais rien à signaler. Il fait à nouveau trop mauvais temps, le vent est trop fort, la mer trop agitée, et les vagues trop hautes. Aucune chance pour ceux qui, là-bas, en Libye, espèrent mettre leurs embarcations de fortune à la mer. Nous savons tous ce que cela signifie pour les femmes, les enfants et les hommes : se cacher quelque part sur la côte, et peut – être hélas subir encore des violences.

Par René Schulthoff

Crédits photos : Marco Panzetti