Le débarquement à Messine : « Vous allez nous manquer ! »
5 avril 2016

Le bateau glisse sur une mer d’huile et dépasse la statue dorée du Christ qui marque l’entrée du port de Messine. Avant l’arrivée, on transfère une partie des migrants sur le pont supérieur pour que les marins puissent procéder aux manœuvres d’amarrage et dégager la passerelle qui sera jetée sur le quai. Recueillement et émotion se lisent sur les visages, mais aussi une certaine inquiétude, surtout lorsque la procédure avec les autorités sanitaires, qui précède le débarquement, se prolonge pendant une heure. Certains redoutent qu’on leur refuse l’entrée du territoire, tous leurs espoirs sont accrochés à cette terre d’Italie… Nombreux se sont enroulés dans leur couverture malgré le soleil éclatant, ils portent tous le petit sac de toile remis par Médecins du Monde où ils ont emporté serviette et couverture. Les petites Nour et Riya serrent leurs peluches dans les bras. Pour beaucoup, il y a aussi l’excitation d’un inconnu prometteur.

Sur le quai les attendent des représentants des autorités sanitaires nationales et régionales, la Croix Rouge Italienne, les services d’immigration, mais aussi l’UNHCR et l’OIM qui les informent sur leur droit à demander la protection internationale, ainsi que l’ONG Save the Children qui supervise la prise en charge des mineurs. Ambulances et police sont aussi au rendez-vous.

Il est 10h20 et le premier migrant à débarquer de l’Aquarius, soutenu par deux hommes, est un égyptien de 37 ans au visage marqué par la douleur : il a été pris d’une colique néphrétique pendant la nuit, sans doute provoquée par la déshydratation. On l’installe sur une chaise roulante. Suivent ensuite l’homme blessé au pied, les femmes et les enfants, avant que s’égrène pendant une heure et demie le long défilé des visages qui affichent désormais sourires et soulagement. Pour eux, ce débarquement, c’est déjà une petite victoire sur l’adversité. « Vous allez beaucoup nous manquer », lance un homme aux sauveteurs, « c’est vous qui nous avez sauvés ! ». Effusions, accolades, derniers échanges de mots et encouragements, avant de les voir s’éloigner dans la file d’abord parsemée et qui ne cesse de s’allonger.

Première étape sur le quai : prise de température, photographie anthropométrique, bracelet adhésif comprenant un numéro. Une petit « goûter » leur est remis. Puis la visite médicale auprès de la Croix Rouge pour certains, et enfin l’enregistrement auprès des services d’immigration, avant de monter dans l’un des quatre bus qui les emmèneront vers divers centres. Les mineurs non accompagnés iront dans un centre spécial. Il est plus de quatorze heures quand le dernier groupe de migrants est emmené, après avoir dû longtemps patienter. Nous apprendrons que l’ensemble d’entre eux obtiendra le statut de demandeur d’asile, et que les cinq érythréens bénéficieront d’une protection spéciale du HCR et devraient obtenir assez facilement l’asile en Italie.

Il est 16h25, le pont arrière de l’Aquarius paraît soudain bien vide… Il est temps pour nous de repartir, car sur les côtes de Libye, d’autres esquifs s’apprêtent à se lancer à la mer tant que la météo est clémente. Pendant que défilent les côtes de Sicile sous la lumière rosée du crépuscule, deux dauphins nous guident jusqu’à la sortie du port

par Nagham Awada

Crédits photo : Patrick Bar