« Mon seul souvenir heureux de ce voyage, c’est ce bateau »
21 octobre 2016

« Madame vous pouvez traduire en anglais s’il vous plaît ? » Assis sur le pont, dans son survêtement bleu, le jeune homme, un des 241 rescapés des deux sauvetages de dimanche a le sourire jusqu’aux oreilles. Malgré de longues heures d’attente, malgré les deux trois nuits passées dehors, malgré la fatigue, malgré tout, il veut dire quelque chose au docteur des équipes de MSF à bord, qui a pris soin de lui et de tous ses compagnons d’infortune pendant ces trois jours à bord. « Je voulais juste lui dire qu’elle va beaucoup me manquer… ». Les yeux du docteur se plissent de joie.

Le moment des adieux n’est jamais anodin, qui plus est quand il faut aussi débarquer de l’Aquarius un corps sans vie, d’un homme qui n’a pas survécu à la traversée et aux violences qu’il a subies avant d’arriver là. Tout le monde est éprouvé, y compris l’équipe de sauveteurs de SOS Méditerranée qui est chargée de transporter le corps depuis le pont avant où il avait été placé pour la traversée jusqu’au cercueil déposé par la police judiciaire sur le quai. Les autorités italiennes assurent qu’elles vont tout faire pour tenter de retrouver la famille afin de lui rendre le corps.

Le moment des adieux n’est jamais anodin non plus quand il faut dire au-revoir à ces quatre enfants qui ont fait la traversée ensemble, seuls, sans aucun adulte pour les accompagner. Le plus grand, S., a 10 ans, il tient par la main ses trois frères et soeurs dont il a la responsabilité, la plus petite a à peine deux ans. Dans sa robe à fleurs, la cadette descend de la passerelle, comme une princesse au pas incertain. A peine arrivé sur le quai, un des volontaires de la croix rouge italienne souffle dans un gant de caoutchouc pour lui faire un ballon. Les traits amaigris du visage de S. s’éclairent, découvrant enfin un large sourire. Sur l’Aquarius « la pirogue » qu’il a dessinée plusieurs fois, resteront accrochés au mur du shelter, l’abri réservé aux femmes et aux enfants. Pour ne pas oublier leur histoire, celle de quatre enfants qui ont traversé seuls la Méditerranée pour venir en Europe…

Le dernier passager à quitter l’Aquarius est un garçon d’à peine plus de 18 ans. Arrivé bout de la passerelle, il enfile ses sandales et s’agenouille pour embrasser le sol italien. Les larmes roulent sur ses joues. Devant lui, un de ses compagnons de voyage, lui passe la main dans les cheveux, lui caresse la tête pour le réconforter.

            « Tu sais ce matin avant d’arriver j’ai beaucoup parlé avec eux » me raconte un photographe embarqué sur l’Aquarius. « Je faisais des photos et je leur posais à tous la même question : de tout ce voyage, depuis que vous avez quitté votre maison, est-ce que un souvenir heureux? Ils m’ont tous répondu : oui, sur ce bateau ».

Par Mathilde Auvillain

Crédits photos : Andrea Kunkl