Max Avis : « La mer ne fait pas la différence entre les migrants économiques et les réfugiés »
17 janvier 2017

Max Avis, vice coordinateur de la SAR Team de SOS MEDITERRANEE, est de retour à bord de l’Aquarius pour sa deuxième mission. Entre Lesbos et la Méditerranée Centrale, il a sauvé des centaines de migrants et réfugiés qui ont tenté la traversée vers l’Europe. Portrait d’un héros qui se refuse à l’être.

Le revoilà le blond ténébreux avec son air rêveur et ses « yeux qui lancent des SOS » qui franchit la passerelle avec son sac de voyage. Le vice-coordinateur des opérations de secours de SOS MEDITERRANEE Max Avis est de retour à bord de l’Aquarius pour sa seconde mission.

Qui sait où il est allé pendant ces six semaines à terre ? Difficile à suivre, Max a une vie particulièrement déboussolante. Né en Irlande il y a 30 ans, il a grandi en Californie et au Swaziland, travaillé à Londres et au Kenya, vécu à Lesbos et à bord de l’Aquarius. Et pour ajouter à la confusion, il ne s’appelle pas vraiment Max, mais Orlando Avis. Alors quand on le rencontre pour la première fois, on n’ose pas trop lui poser de questions… au final, surtout par peur de ne pas comprendre les réponses. Quand Max parle – très vite – rares sont ceux qui dans cet équipage cosmopolite le comprennent du premier coup – même si personne ne l’avoue. Puis le temps passe, l’oreille s’habitue, on apprend à le connaître et on réalise qu’il aurait été dommage de ne pas lui poser de questions.

Le chemin qui a conduit Max sur l’Aquarius est parti de Lesbos, il y a plus d’un an. Il suivait déjà depuis un certain temps les arrivées de réfugiés sur les côtes de cette petite l’île grecque dans les médias, sans savoir quoi faire. Et puis un samedi matin, au réveil, il s’est mis à envoyer des messages à toutes les organisations d’aide aux réfugiés qu’il a pu trouver. « J’avais suivi deux ans de formation aux sauvetages en mer quelques années plus tôt et j’ai offert mon aide, deux heures après les premiers m’avaient répondu et me demandaient de venir au plus vite ». Le lendemain, il bourrait quelques affaires dans un sac à dos et s’envolait pour la Grèce.

« Quand je me suis réveillé le premier jour à Lesbos, c’était l’hiver. Je me souviens avoir vu un groupe de réfugiés, des familles entières avec des enfants partout marcher le long de la côte sur cette petite île. C’était bouleversant de voir ça, à tout juste deux heures de vol de Londres. Cette scène a complètement bouleversé ma perception de l’Europe » raconte-t-il. « C’était bizarre. Et pourtant j’ai travaillé dans des zones de conflit, j’ai été témoin de la pauvreté, du désespoir humain, mais c’était frappant de se retrouver face à cela en Europe… cette image remettait complètement en question la conception de l’Europe que l’on a souvent, une Europe patrie des droits de l’homme, une Europe qui se considère plus développée que les autres régions du monde. On a toujours tendance à partir du principe que ce genre de choses ne peut pas arriver en Europe. Et pourtant…  » poursuit-il, perplexe à l’évocation de ces souvenirs. « Qui plus est la principale réponse apportée à cette situation a été celle des citoyens, des gens lambda, des gens normaux qui ont accompli un travail énorme… et ça m’a complètement bouleversé. Certes, les gardes côtes intervenaient eux aussi, mais ils étaient très hostiles vis à vis des réfugiés… Or à bord des canots il y avait plus d’un tiers d’enfants, des femmes, des personnes âgées parfois un village entier. Et tout le travail de sauvetage, l’accueil à terre, la distribution de vêtements était pris en charge par des gens normaux, des citoyens. C’est ce qui m’a le plus marqué » avoue Max. La première fois Max était allé à Lesbos pendant ses vacances, grappillant tous les jours de repos et de congé possibles pour rester sur place et aider les réfugiés le plus longtemps possible. Quelques mois plus tard, il a finalement démissionné de son travail pour retourner sur l’île. Un engagement spontané qui reflète celui de la majorité des sauveteurs volontaires de SOS MEDITERRANEE. Rien d’étonnant à ce que Max se soit retrouvé quelques mois plus tard à bord de l’Aquarius.

 « Tous ces gens à bord, qui prennent sur leur temps, qui sacrifient leur vie professionnelle pour aller vont sauver des personnes en mer, ce ne sont pas des gens riches. Nous sommes tous pauvres, nous ne faisons pas partie des hautes sphères, ici à bord il y a des pêcheurs, des marins, des gens qui travaillent comme serveurs pour vivre… Et qui pourrait imaginer, en voyant un serveur dans un bar, qu’il puisse partir en mer, relever les manches pour aller tirer des personnes hors de l’eau…? » poursuit Max.

Vice-coordinateur des secours, c’est lui qui, en contact permanent avec le SAR Co, ou coordinateur des secours, qui se trouve sur le pont de l’Aquarius, dirige l’équipe de sauveteurs une fois que les canots de sauvetages sont en mer, prêts à approcher les embarcations en difficulté. C’est lui qui pointe du doigt les personnes à l’eau sans gilet de sauvetage et ordonne de les tirer hors de l’eau sur le champ. C’est lui récupère en premier les bébés et les confie ensuite aux bras disponibles pour poursuivre le transfert des personnes à bord du canot. C’est lui qui doit aller inspecter le fond des bateaux pneumatiques remplis d’eau saumâtre et qui parfois, y retrouve des cadavres.

« Ce sont les moments les plus difficiles. Voir des gens mourir, voir des corps sans vie, c’est terrible. Et la façon dont ils meurent est horrible, à cause des inhalations d’essence, ils se noient dans ce mélange d’eau de mer et de carburant, leur peau rongée qui s’étiole. Il faut être fort dans ce cas là, pour continuer à faire notre travail, mais c’est profondément bouleversant et ce genre de situation vous laisse face à des questions sans réponse ».

Une fois le sauvetage terminé, Max ôte ses bottes, sa combinaison étanche et son gilet de sauvetage et monte sur la passerelle, plongée dans le noir. Il roule une cigarette et contemple les volutes de fumée. « Nice one », « Bien joué » dit-il simplement à ceux qu’il croise. Rien de plus, le silence dit tout le reste. Et puis il se retire dans sa cabine, prend sa guitare et égrène quelques accords.

« J’ai un immense respect pour ces personnes qui ont survécu à la traversée. Mais je bloque sur tous les « pourquoi ». Pourquoi tout cela arrive ? Et surtout je ressens une profonde frustration envers le fait qu’on utilise la mort, le risque de mourir, comme facteur de dissuasion pour ceux qui veulent passer la frontière. C’est inacceptable. On ne peut pas utiliser la mer et la mort pour gérer les flux migratoires. Si une société se définit et se croit moderne, elle ne peut pas accepter cela. La mer ne va pas faire la différence entre les migrants économiques et les réfugiés, entre ceux dont on a décrété qu’ils méritent de pouvoir venir en Europe et ceux qui ne le mériterait pas. La mort ne peut pas être un facteur dissuadant. C’est inacceptable ! Mais l’Europe est là assise, à regarder la situation… pour moi c’est horrible et c’est encore plus horrible que de voir des gens mourir sous mes yeux dans les bateaux ».

Alors que l’Aquarius sort du port de Catane, il est le premier à grimper les échelles jusqu’à « monkey island » (le point le plus haut du bateau, dans le jargon des marins, ndlr.). Il attendait ce moment depuis six semaines. Reprendre le large, remonter sur les RHIBs, pour aller sauver des vies en mer.  

Par Mathilde Auvillain