Prendre la mer en hiver
29 novembre 2021

Alors que l’Ocean Viking s’apprête à reprendre la mer pour sauver des vies, l’hiver sévit déjà en Méditerranée centrale. Les nuits sont glaciales et les tempêtes nombreuses. Ces conditions rendent les traversées encore plus dangereuses et compliquent les opérations de sauvetage. 
 
 

Légende vidéo ci-dessus : « Malgré des trois-quatre mètres de vagues comme on a pu voir, les gens continuent de fuir la Libye et ont besoin de notre présence en Méditerranée. » Justine, marin-sauveteuse à bord de l’Ocean Viking, raconte, depuis le port d’Augusta, en Sicile, les épreuves subies par les 314 personnes secourues en novembre dernier.
 

Fin octobre, un ouragan appelé « medicane » s’est abattu sur la Méditerranée centrale avec des rafales pouvant dépasser les 100 km/h, des vagues de sept mètres et de fortes pluies. D’autres tempêtes ont suivi. Cela n’a pas empêché de nombreux départs depuis la Libye. Les navires humanitaires comme l’Ocean Viking, mais aussi le Sea Eye 4, le Rise Above (de l’ONG Lifeline) le Geo Barents (MSF), le Sea Watch 4, l’Astral (Open arms) et l’ONG Resqship se sont relayés tout ce mois pour tenter de porter secours à ces personnes menacées de chavirer à tout moment ou de succomber à l’hypothermie.

Si plusieurs centaines d’entre elles ont pu être sauvées, la liste des disparu.e.s de la Méditerranée en novembre s’est encore allongée de 78 victimes selon l’OIM (totalisant 1303 disparu.e.s pour l’année 2021) – y compris les 10 personnes retrouvées sans vie dans un bateau secouru par le Geo Barents. D’autres ont dû sombrer dans la tempête ou dans la nuit sans témoin ; d’autres encore ont été ramenées en Libye de force.

 
Les conditions hivernales exacerbent les risques de la traversée

En hiver, les jours raccourcissent et la recherche d’embarcations en détresse devient beaucoup plus difficile. Dans la nuit, parfois dans la tempête, les équipes tentent de repérer à la jumelle le faisceau lumineux de téléphones portables encore chargés.

Même de jour, « la visibilité est bien moins bonne en hiver » explique Ana, coordinatrice adjointe des opérations de recherche et sauvetage pour SOS MEDITERRANEE. « Il y a plus de nuages, plus de vagues, il est plus difficile de faire la première évaluation depuis la passerelle. On doit être beaucoup plus rapides pour mettre nos canots de sauvetage à l’eau et encore plus attentifs aux éléments, qui ont un impact sur nous et sur les sauvetages ».

Les embarcations sur lesquelles les personnes prennent la mer n’ont pas de quille fixe. Ce sont souvent de simples boudins pneumatiques assemblés avec des planches ou des bateaux en bois qui risquent de se briser ou de chavirer à cause de leur mauvaise qualité. Sur une mer agitée, ces risques sont exacerbés.
 

Novembre : quatre sauvetages périlleux

Début novembre, 314 personnes ont été secourues par l’Ocean Viking au cours de quatre sauvetages, dont deux en pleine nuit. La première embarcation n’a été repérée qu’au dernier moment, à 200 mètres de notre navire. Bien entraînées, nos équipes ont rapidement mis les canots de sauvetage à l’eau, stabilisé l’embarcation et porté assistance aux naufragé.e.s. 45 personnes seront secourues en 50 minutes.

L’autre embarcation, en bois, comptait 69 personnes dont certaines entassées dans la cale. Distribuer des gilets de sauvetage et transférer les personnes sur les canots de sauvetage avec des vagues de deux mètres est complexe. La technique utilisée dite du « sandwich » consiste à disposer deux canots de sauvetages d’un côté et de l’autre de l’embarcation, afin d’y transférer les personnes rapidement et d’éviter que l’embarcation ne chavire.

Deux autres sauvetages ont eu lieu en plein jour. Une première embarcation, un pneumatique, était surchargé avec 94 personnes, dont certaines étaient à califourchon sur les boudins dégonflés. La structure du canot était déformée et, menaçait de se briser. La seconde, une embarcation en bois, était elle aussi instable, avec à son bord 105 personnes entassées sur le pont et dans la cale. Les personnes rescapées – dont de nombreux bébés déshydratés – ont été transbordées sur un radeau de sauvetage avant d’être transférées sur l’Ocean Viking.
 

Hypothermie et risques liés au froid : quelle prise en charge sur l’Ocean Viking?

En hiver, la température de l’eau ne dépasse pas les 13 degrés en Méditerranée. Une personne qui tomberait à l’eau en pleine mer ne survivrait pas plus de quelques minutes. A bord des embarcations, le vent, la déshydratation, le manque de nourriture et l’épuisement accroissent le risque d’hypothermie. Les plus vulnérables sont les nourrissons et les jeunes enfants.

« Notre équipe médicale et tous les membres d’équipage peuvent être amené.e.s à effectuer une réanimation cardio-pulmonaire en cas de noyade ou d’extrême hypothermie pouvant causer un arrêt cardiaque. La température des personnes peut chuter jusqu’à 32°C », précise Jane, médecin à la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), partenaire de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking.
Le mal de mer lié à la houle constitue une difficulté supplémentaire en hiver – y compris pour l’équipage. En plus d’être épuisant, cela peut devenir dangereux pour les naufragés en raison de leur grand état de faiblesse et peut aggraver les cas de déshydratation.

« Lorsque les personnes arrivent à bord de l’Ocean Viking, elles sont souvent exténuées, épuisées, sous le choc, traumatisées de ce qu’elles ont vécu en Libye et de la traversée » explique Riad, responsable de l’équipe d’assistance et de protection pour SOS MEDITERRANEE. Il faut immédiatement les amener dans un endroit chaud, changer leurs habits mouillés pour des vêtements secs, leur servir quelque chose de chaud à boire et à manger, leur fournir des couvertures et des couvertures de survie pour les protéger du vent, de la pluie et du froid. »

L’Ocean Viking est lourd et stable, mais en hiver, les vagues déferlent sur le pont, Les rescapé.e.s sont régulièrement rincé.e.s, ils et elles souffrent du mal de mer et leurs affaires sont emportées. Malgré les difficultés pour se déplacer à bord, l’équipe veille à fournir couvertures et vêtements secs mais aussi assurer une présence notamment à celles et ceux dont l’état psychologique se détériore à mesure que l’attente d’un port sûr se prolonge. 

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Crédits vidéo et photo : Claire Juchat / SOS MEDITERRANEE