Récit des deux sauvetages simultanés
12 septembre 2016

Dans l’espace aménagé pour les femmes sur l’Aquarius, Edouard le sauveteur français de l’équipe SAR (Search And Rescue) prend soin de la petite Leyla âgée de deux mois. C’est notre plus jeune invitée à bord, ce dimanche qui fut une journée épuisante en Méditerranée. Edouard tient dans ses bras costauds ce minuscule bébé et le berce pour qu’il s’endorme pendant que le Docteur Sarah de Médecins sans Frontières examine sa maman. Visiblement, Edouard apprécie ce moment de répit après une opération de sauvetage de six longues heures. 

Nous savions que ce dimanche risquait d’être une journée laborieuse en mer, au Nord-est des côtes de Tripoli. Les conditions météo de ces quatre derniers jours en Méditerranée étaient mauvaises, avec un vent du nord et l’Aquarius croisait d’ouest en est à 25 milles des côtes libyennes sans qu’aucun sauvetage ne se présente. Mais nous savions que la météo allait changer pendant la nuit de samedi à dimanche.

« Bateau pneumatique à l’est » annonce le haut-parleur sur la passerelle de l’Aquarius – dimanche vers 7h du matin. Yohann, le coordinateur SAR de l’Aquarius scrute la mer à l’aide de ses jumelles. « Et en voilà un autre » ajoute-t-il.

Il s’agit de deux bateaux pneumatiques, distants de plusieurs milles l’un de l’autre, contenant des personnes en détresse. Nous devons décider par où commencer. Comme nous ne parvenons pas à voir clairement le deuxième bateau nous décidons de commencer à porter secours au plus proche. Il est surchargé et les gens à bord sont nerveux.

Restez calmes”, crie Asma dans son mégaphone. Elle se trouve sur le canot de sauvetage qui effectue la première approche du bateau pneumatique. Sa tâche consiste à parler aux personnes en détresse. « Restez où vous êtes, restez assis, ne bougez pas. Nous allons secourir chacun d’entre vous, et vous transférer sur ce grand bateau derrière moi. » Asma fait partie de Médecins Sans Frontières, notre partenaire médical sur l’Aquarius. Elle parle anglais, français et arabe et peut communiquer avec pratiquement toutes les personnes à bord de ces embarcations.

Après avoir donné un gilet de sauvetage aux 40 femmes, 10 enfants et aux 70 hommes à bord de ce bateau, nous procédons à un premier transfert des femmes et des enfants vers l’Aquarius. La chance est avec nous car le vent a faibli et la mer est presque calme avec peu de vagues de faible intensité.

Le deuxième bateau pneumatique est encore éloigné. De loin, il semble bien enfoncé dans l’eau. Ce qui peut signifier qu’il prend l’eau et qu’il est en train de sombrer. Nous devons donc agir vite. L’un de nos canots de sauvetage restera auprès de la première embarcation et le deuxième canot chargé de gilets foncera vers le deuxième bateau en détresse.

A ce moment précis nos équipes portent secours à deux bateaux éloignés l’un de l’autre, tentant de sauver deux cent à trois cent personnes. « Tout est calme à bord du second bateau pneumatique. Embarcation surchargée, aucun gilet de sauvetage, deux femmes à bord, pas d’enfant » annonce Ani, notre team leader adjointe, par radio. C’est une bonne nouvelle mais nous devons faire vite car des nuages n’annoncent rien de bon.

Les deux embarcations en détresse sont encore distantes de plusieurs milles l’une de l’autre. Quarante personnes provenant du premier bateau ont déjà été évacuées. Nous décidons d’en démarrer le moteur. Comme aucun de ses occupants n’y arrive, Baptiste, notre collègue SAR monte à bord. « Le moteur a démarré pratiquement instantanément. Il m’a suffi de remplacer le jerricane d’essence à moitié rempli d’eau par un bidon d’essence de 20 litres. »

Ce sauvetage est une première pour Mary, notre plus jeune collègue de l’équipe SAR. Son rôle consiste à piloter le canot de sauvetage pendant que Baptiste fait l’expérience de piloter un bateau pneumatique rempli de migrants. Mary s’en est bien sortie : elle est experte en pilotage de bateaux.

Le bateau pneumatique accompagné par notre canot de sauvetage se dirige lentement vers la seconde embarcation. Nous sommes ainsi parvenus à réunir les deux embarcations en détresse au même endroit. L’opération de sauvetage aura duré six heures dimanche. Au total nous avons secouru 252 personnes, dont quelques très jeunes enfants, le plus jeune ayant seulement huit semaines. A signaler la présence de cinq femmes enceintes.

Les rescapés nous ont raconté par la suite qu’ils s’étaient cachés sur une plage en Libye pendant quatre ou cinq jours dans des trous creusés dans le sable. La plupart d’entre eux sont encore pleins de sable. Ils en ont dans les cheveux et il s’est même incrusté sous leur peau.

Leyla le bébé de huit semaines s’est finalement endormi dans les bras d’Edouard. Sa mère était heureuse de voir son enfant souriante dans les bras de notre collègue SAR. C’est à ce moment que le vent s’est levé avec de fortes vagues et que tout le monde à bord a respiré, soulagé que l’opération de sauvetage de 252 personnes ait pris fin à temps et que tous soient sains et sauf sur l’Aquarius.

Par René Schulthoff

Crédits photos : Marco Panzetti