#14 Deux week-ends, une crise aiguë : multiplication des appels de détresse, des naufrages, des sauvetages et un nombre alarmant de retours forcés en Libye

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous opérons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

Ces deux derniers week-ends (du 19 au 21 février et du 26 au 28 février), les tentatives pour fuir la Libye à bord d’embarcations impropres à la navigation se sont multipliées en Méditerranée centrale. Les équipes civiles de recherche et de sauvetage (SAR), qu’elles soient aériennes ou maritimes, ainsi que les organisations internationales en Libye ont pu y observer une crise aiguë. Fait alarmant, au cours de cette même période, un nombre record d’embarcations ont été interceptées par les garde-côtes libyens et leurs occupant.e.s ont été ramené.e.s de force en Libye.

1. Chronologie d’un week-end chaotique en Méditerranée centrale : du 19 au 21 février

Le week-end dernier, de multiples embarcations en détresse ont été repérées par les avions civils Moonbird de Sea Watch et Colibri 2 de Pilotes Volontaires. Ces derniers ont aussi été témoins de multiples interceptions par les garde-côtes libyens. L’ONG Alarm Phone, qui gère une hotline téléphonique pour les personnes en détresse en mer, a signalé via Twitter de multiples appels de détresse et des retards dans les interventions de sauvetage par les agents gouvernementaux.

L’Aita Mari de l’ONG basque Salvamento Marítimo Humanitario a secouru 102 personnes à bord d’une embarcation en bois en détresse dans la zone de recherche et de sauvetage (SSR) de Malte le 19 février. Plus tard, l’Aita Mari a croisé la route d’une autre embarcation en bois en détresse  avec environ 46 personnes à bord. Les marins-sauveteur.e.s ont fourni des gilets de sauvetage et de la nourriture aux personnes qui se trouvaient sur l’embarcation, car il ne leur était pas possible d’accueillir plus de monde sur leur navire.

Les 102 personnes rescapées ont finalement été dirigées vers le port d’Augusta, en Sicile, un lieu sûr où ils ont pu débarquer les 22 et 23 février.

La nuit du 19 au 20 février, une embarcation en bois a chaviré au large de Lampedusa pendant le transfert des personnes à bord vers les navires des garde-côtes italiens et de la Guardia di Finanza, comme  l’ont rapporté les garde-côtes italiens aux médias. Quanrante-sept personnes ont été secourues durant l’opération au cours de laquelle au moins cinq personnes sont disparues.

Pilotes Volontaires a relaté le sauvetage effectué par les garde-côtes italiens d’une embarcation en détresse que l’association avait repérée près des côtes italiennes le 21 février. Les rescapé.e.s ont été débarqué.e.s à Lampedusa. Selon Mediterraneo cronaca un bébé serait né sur ce même canot pneumatique.

Selon le journal Malta Today, un canot pneumatique parti de Libye avec 55 personnes à bord est arrivé à Malte de manière autonome le dimanche 21.

Deux navires de commerce opérant sur les plateformes pétrolières au large de la Libye ont participé aux opérations de sauvetage de ce week-end.

Le Vos Triton a secouru  77 personnes et a repêché un corps. Une évacuation sanitaire a été organisée au large de Lampedusa et les rescapé.e.s ont fini par débarquer à Porto Empedocle, en Sicile, comme l’indique La Stampa.

Lors du débarquement, une équipe de l’UNHCR a recueilli des témoignages confirmant qu’au moins 41 personnes, sur les 120 qui se trouvaient à bord du canot pneumatique avant d’être secourues, se sont noyées et sont portées disparues. Une enquête sur les événements qui se sont produits après le sauvetage a été lancée par le bureau du procureur d’Agrigento, en Sicile : le canot allait vers le nord, avant d’être dirigé vers la Libye, qui n’est pas un lieu sûr pour le débarquement des rescapé.e.s en vertu du droit maritime.

Selon La Stampa et les premiers éléments de l’enquête du bureau du procureur d’Agrigento, “il n’existe aucune preuve d’une insurrection à bord du Vos Triton”, comme rapporté précédemment, mais “seulement une évidente déception de la part des naufragé.e.s en apprenant la nouvelle de leur retour vers la Libye”.

Le navire Asso 30 a également débarqué des rescapé.e.s à Porto Empedocle, en Sicile. Le navire avait secouru 232 personnes et retrouvé le corps d’une personne sans vie sur l’embarcation.

Par ailleurs, 157 personnes à bord de deux embarcations distinctes ont été secourues par les garde-côtes tunisiens. Deux corps ont aussi été repêchés.

Les îles de Lampedusa, Pantelleria et Sardinia ont été le théâtre de plusieurs arrivées autonomes d’embarcations parties d’Algérie, de Libye ou de Tunisie (voir les articles en ligne de Mediterraneo Cronaca).

Frontex a indiqué que ses avions avaient repéré neuf embarcations en détresse en Méditerranée centrale au cours de ce week-end. Sur Twitter, l’agence a affirmé qu’elle “avait alerté et fourni des informations régulières à tous les centres de secours de la zone”. L’une des embarcations aurait été secourue par un bateau de pêche. Dans ses tweets, Frontex n’a pas fourni d’information sur le lieu de débarquement des personnes secourues après avoir alerté les autorités au sujet de ces embarcations.

Selon l’OIM Libya, 1 315 personnes ont été ramenées de force en Libye et au moins six corps repêchés entre le 16 et le 22 février. Au cours de ces interceptions, au moins six personnes sont décédées et cinq disparues.  On redoute un nombre encore plus élevé de morts et de disparus. Pilotes Volontaires a publié la video d’une interception mouvementée par les garde-côtes libyens, dont ils ont été témoins le 21 février, montrant au moins 20 personnes tombées à l’eau.

2. Chronologie d’un week-end chaotique en Méditerranée centrale : du 26 au 28 février

Le vendredi 19 février, le Sea Watch 3 a quitté le port de Burriana, en Espagne, en route vers la Méditerranée centrale après sept mois de détention par les autorités italiennes. Entre le 26 et le 28 février, le Sea Watch 3 a secouru 363 personnes  de cinq embarcations en détresse. L’équipe de Sea Watch a  porté assistance à un sixième bateau en détresse, stabilisant la situation jusqu’à ce que les garde-côtes italiens finissent d’effectuer le sauvetage et amènent les quelque 90 rescapé.e.s à Lampedusa.

D’autres arrivées ont été constatées  à Lampedusa au cours de ce week-end.

Le Sea Watch 3 a été informé par les autorités italiennes que le port d’Augusta lui a été attribué comme lieu sûr pour débarquer les 363 personnes rescapées.

Pendant ce temps, d’autres naufrages meurtriers continuent de se produire. Selon l’OIM Libye, au moins 15 personnes sont mortes dans un naufrage au large de la Libye, comme l’ont rapport 95 personnes retournées ce même week-end. Selon Alarm Phone, les personnes à bord de cette embarcation en détresse les ont appelés pour demander de l’aide alors qu’elles se trouvaient à quelques milles nautiques des côtes libyennes, mais l’intervention des garde-côtes libyens a tardé.

Pas moins de 443 personnes ont été interceptées et renvoyées de force en Libye entre le 23 février et le 1er mars, ce qui porte à 4 029 le nombre de personnes renvoyées en Libye cette année – un tiers du total des retours enregistrés en 2020.

Le 2 mars, le HCR a fait état d’une nouvelle interception et du retour de 100 personnes en Libye deux jours après leur départ.

3. Le tribunal de Palerme suspend la détention du Sea Watch 4, l’Ocean Viking est en escale à Marseille

Le 2 mars, l’ONG Sea Watch a annoncé que le tribunal administratif de Palerme avait provisoirement suspendu la détention du Sea Watch 4 en attendant la décision de la Cour européenne de justice sur la question. Après sept mois de blocus, le navire se prépare à reprendre la mer dès que possible.

L’Ocean Viking est arrivé à Marseille, en France, le 1er mars pour une escale après deux semaines de quarantaine effectuées par nos équipes à bord, à la demande des autorités sanitaires italiennes après le dernier débarquement des personnes rescapées à Augusta, en Sicile. Nous prévoyons de reprendre la mer dès que possible après quelques opérations d’entretien et de réapprovisionnement.

Photo: Hippolyte

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