#20 La multiplication des naufrages, des sauvetages, des interceptions et des débarquements remet à l’ordre du jour de l’Union européenne la question de la recherche et du sauvetage en Méditerranée centrale.

Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage dans la zone où nous opérons depuis 2016, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.

Les ONG de recherche et de sauvetage actives en Méditerranée centrale sauvent des centaines de vies pendant que les détentions administratives se poursuivent.

Le 13 mai, l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) a annoncé  qu’elle reprenait ses activités de recherche et de sauvetage avec un nouveau navire, le Geo Barents, battant pavillon norvégien. Le 24 mai, dans le détroit de Gibraltar, l’équipage a sauvé trois personnes qui ont ensuite été transférées à bord d’un navire de garde-côtes, à la demande des autorités maritimes espagnoles.  

Après avoir obtenu l’autorisation des autorités sanitaires d’Augusta le 16 mai, l’Ocean Viking est arrivé dans un chantier naval à Naples le 25 mai, où il a été mis en cale sèche pour un entretien de routine.

L’Aita Mari, de l’ONG espagnole Salvamento Maritimo Humanitario, patrouille actuellement en Méditerranée centrale. Après avoir localisé un appel de détresse envoyé par l’ONG Alarm Phone le 23 mai, l’équipage a signalé que deux navires marchands maltais s’étaient portés au secours de l’embarcation pneumatique jusqu’à ce que la Marine tunisienne intervienne pour ramener près de 95 personnes à Sfax, en Tunisie.

Au cours de sa première mission en mer, le Sea-Eye 4 a secouru 415 personnes en 48 heures lors de six opérations, entre le 15 et le 17 mai. Parmi les personnes rescapées, 150 étaient mineures.  Les autorités italiennes ont donné instruction au Sea-Eye 4 de débarquer les personnes rescapées à Pozzallo le 19 mai. Le débarquement s’est terminé le 22 mai. L’équipage effectue actuellement une quatorzaine dans le port de Pozzallo, à la demande des autorités sanitaires italiennes.  

Le 19 mai, le Sea-Watch 4 a terminé sa période de quarantaine et est actuellement amarré dans le port de Trapani, où le navire subit une détention administrative. Le même jour, le Sea-Watch 3 a quitté la Sicile après 59 jours de blocage, muni d’une autorisation pour un voyage unique vers un chantier naval en Espagne.
 

Au moins 67 morts au large de la Libye ces deux dernières semaines, et plus de 9 659 personnes ramenées de force cette année

Plusieurs naufrages ont été récensés au cours de ces deux dernières semaines. Le 13 mai, 150 personnes ont été interceptées et ramenées en Libye. Selon deux rescapés nigériens, 17 personnes ont disparu et se sont vraisemblablement noyées, comme l’indique l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Le 15 mai, des bateaux de pêche locaux ont secouru 62 personnes en détresse au large de Khoms, mais  plusieurs dizaines de personnes sont disparues  selon Alarm Phone. Le 18 mai, un naufrage s’est produit au large de Sfax, en Tunisie. Au moins 50 personnes sont portées disparues selon les 33 personnes rescapées, toutes provenant du Bangladesh. Elles avaient quitté Zouara, en Libye, le 1ermai.  

De nombreuses interceptions par les garde-côtes libyens ont également été signalées. Au cours de la seule journée du 16 mai, plus de 650 personnes ont été ramenées à Tripoli. Deux jours plus tard, plus de 300 personnes ont été ramenées vers ce même port, le 18 mai, selon l’UNHCR. Le 18 mai, selon Alarm Phone, une embarcation transportant près de 88 personnes a été interceptée par les garde-côtes libyens alors que sa dernière position montrait que l’embarcation se trouvait dans la zone de recherche et sauvetage maltaise. Selon Safa Msehli, porte-parole de l’OIM, sur plus de 8 000 personnes interceptées et ramenées de force en Libye en 2021, seules 4 000 se trouvent dans des centres de détention officiels, alors que « des milliers de personnes ont disparu ».

Le 17 mai, la marine tunisienne a secouru plus de  100 personnes  au large de l’île de Djerba, selon le ministre de la Défense. Les personnes rescapées ont raconté que l’embarcation s’était dégonflée et que 47 d’entre elles étaient tombées à la mer avant d’être secourues.

De plus en plus d’appels pour obtenir des moyens de recherche et de sauvetage européens et des dispositifs de relocalisation des personnes rescapées

Le 17 mai, l’Irlande a accepté de  relocaliser dix personnes sur les 2 100 environ qui avaient débarqué en Italie la semaine précédente, devenant le premier pays européen à répondre à un appel à la solidarité venu de Rome et de la Commission européenne – et à ce jour le seul pays à l’avoir fait. Une semaine plus tôt, le Premier ministre italien Mario Draghi faisait part de discussions avec la France et l’Allemagne afin d’essayer de relancer l’accord de Malte sur les relocalisations.

Le 19 mai, à l’issue d’une réunion avec des ONG de recherche et de sauvetage, parmi lesquelles SOS MEDITERRANEE Italie, le président du Parlement européen David Sassoli a appelé l’Europe à « préparer une initiative majeure sur le secours en mer et une politique commune d’accueil, digne de son Histoire ».  Le 24 mai, la commissaire européenne à la migration et aux affaires intérieures Ylva Johansson a indiqué que le Groupe européen des États membres qui œuvre sur la recherche et le sauvetage se réunirait à nouveau avant l’été afin d’assurer un dialogue avec les ONG de recherche et de sauvetage ainsi qu’avec les navires commerciaux et les agences européennes et internationales.      

Le 26 mai, le Bureau pour les droits humains des Nations-unies (ONU) a publié un rapport intitulé « Lethal Disregard : Search and Rescue and the protection of migrants in the central Mediterranean Sea » (Mépris mortel : recherche, sauvetage et protection des migrant.e.s en Méditerranée centrale). En réaction, la Haute-Commissaire des Nations-unies aux droits humains, Michelle Bachelet, a exhorté l’Union européenne (UE) et la Libye à modifier leurs pratiques en mer Méditerranée. Le rapport appelle « les autorités libyennes, les États membres et les institutions de l’UE, ainsi que les autres acteurs et actrices concerné.e.s à prendre des mesures déterminées et efficaces pour déployer des opérations de recherche et de sauvetage, soutenir le travail des ONG humanitaires et adopter un arrangement commun fondé sur les droits humains pour le débarquement en temps voulu de toutes les personnes secourues en mer », explique Mirage News.
 

Les accusations contre Salvini et Rackete sont annulées, alors qu’une enquête vise le gouvernement maltais soupçonné de payer la Libye pour des renvois forcés illégaux.

Les accusations contre Matteo Salvini pour avoir retardé le débarquement de rescapé.e.s à bord du navire des garde-côtes italiens Gregoretti en 2019  ont été abandonnées. Selon le juge, il n’existe aucun élément justifiant de lancer une procédure de première instance. Monsieur Salvini doit cependant être jugé à Palerme pour l’affaire de l’Open Arms.  

Le 20 mai, les enquêtes visant l’ancienne capitaine du Sea Watch 3, Carola Rackete, ont été abandonnées. Les procureurs d’Agrigente, en Sicile, avaient déclaré qu’elle avait agi par nécessité et qu’elle avait le devoir de mettre les personnes à bord de son navire en sécurité.

Le 19 mai, l’ancien fonctionnaire du cabinet du Premier ministre maltais Neville Gafá a affirmé qu’il « opérait sous juridiction libyenne » lorsqu’il avait coordonné le renvoi forcé de migrant.e.s à la demande de Malte le dimanche de Pâques de l’an dernier. Carmelo Grech, le propriétaire du bateau de pêche battant pavillon libyen Dar Es Salaam 1, a lui aussi révélé que le gouvernement maltais avait payé pour des retours forcés, à de multiples reprises.

Afflux d’arrivées sur les côtes de l’Europe

Entre le 17 et le 18 mai, un afflux sans précédent d’arrivées s’est produit dans l’enclave espagnole de Ceuta, avec près de 9 000 personnes venant du Maroc par la mer. Selon les autorités espagnoles, 7 500 personnes ont été renvoyées au Maroc. Deux personnes sont mortes noyées alors qu’elles tentaient de rejoindre Ceuta, et un jeune Marocain qui essayait de se pendre vendredi a été sauvé de justesse.

Selon un nouveau rapport de Frontex, le nombre de personnes traversant la Méditerranée centrale a augmenté en avril de près de 1 550 par rapport à l’an dernier. Entre janvier et avril de cette année, le nombre total de traversées sur cette route a plus que doublé, atteignant 11 600.

Crédit photo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE