Répérage sous tension sur le pont de l’Aquarius
20 juillet 2017

« Pendant les opérations, l’Aquarius est positionné au large des côtes tripolitaines et sillonne les eaux internationales d’Est en Ouest au plus proche des zones de détresse. Les interventions se font suivant les règles maritimes internationales, en totale coordination avec la Maritime Rescue Coordination Center – Centre de coordination des recherches et des sauvetages en mer – (MRCC) basé à Rome. Ce centre de coordination de sauvetages (équivalent des CROSS* français) signale les embarcations en détresse et donne des instructions quant aux modalités de débarquement des rescapés : selon les cas, ils sont ramenés en Italie par l’Aquarius, ou transbordés à bord d’un autre navire en charge de la navette – ceci permettant de maintenir sur zone la capacité de sauvetage de l’Aquarius. A peine le fax du MRCC arrive-t-il en passerelle, que le message se répand comme une traînée de poudre à bord. Pendant que l’Aquarius est lancé à plein régime sur la zone de sauvetage, le Commandant orchestre les opérations avec l’aide des Coordinateurs MSF et SOS MEDITERRANEE. Dans les coursives, radios et croquenots résonnent. Casques, cirés et gilets de sauvetage sont attrapés au vol. Ça frappe aux portes qui ne sont pas encore ouvertes, pour s’assurer que tout le monde sera sur le pont à temps.

 […] Nous engrangeons les informations qui arrivent par bribes et nous essayons d’extrapoler : suivant sa taille, un bateau pneumatique peut contenir de 120 à 200 personnes et un bateau en bois, de 150 à 1 000 personnes. De là, nous pouvons en déduire « à la louche », le temps nécessaire pour un sauvetage. Et si nous sommes dans une « bonne fenêtre météo », nous savons que les sauvetages risquent de s’enchaîner. 

Pendant ce temps-là, en passerelle, l’ambiance est fébrile. Et lorsque nous arrivons près de la zone, chacun est tendu comme un arc.

J’ai une nuit très précise en mémoire, c’était celle du 12 au 13 novembre 2016. Alexander, le Commandant, fouillait la nuit avec ses binoculaires : « Mais p…… je les vois sur le radar. Ils sont à portée de main… je ne comprends pas qu’on ne les voie pas encore !!!!!». Même si nous étions nombreux autour de lui à ne rien voir, à cet instant-là, il semblait porter seul la responsabilité de cette centaine de vies humaines. Il a demandé à Laurin de regarder avec son téléobjectif. Celui-ci est sorti dans l’aile tribord et s’est vissé sur son appareil. […] Rien. Puis tout à coup, Nico s’est exclamé : – « Là !!!!! Ils sont là… », en montrant du doigt pour les néophytes et précisant l’azimut pour ses collègues marins. Tous de suivre la direction indiquée. Le Commandant a orienté les puissants projecteurs de l’Aquarius dessus. Ça y était… d’abord un mince trait luminescent et indistinct, puis, à mesure, le trait a grossi… puis des silhouettes ont surgi d’un fin fond noir d’encre…

Que ce soit la première fois ou pas que nous assistions à cette scène, c’est toujours le même effroi qui nous saisit. Nous restons tous médusés devant pareille vision. Aucun de nous ne s’y habitue et c’est heureux. Comment cela est-il possible ?! A mesure, des visages émergent… Puis des regards… Incrédules, sidérés, hébétés… De part et d’autre, nous nous regardons et le temps semble suspendu. […] »

*Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage

livre

                                                                                                                            

Extrait du livre « Les naufragés de l’enfer. Témoignages recueillis sur l’Aquarius » (Digobar Editions, avril 2017) écrit par Marie Rajablat, bénévole française chez SOS MEDITERRANEE qui a passé six semaines à bord l’hiver dernier.

Texte : Marie Rajablat

Crédits photos : Laurin Schmid