Un an après…
15 mars 2017

Emotion et stupéfaction. Ce sont aujourd’hui encore les sentiments que je ressens en découvrant, la gorge serrée, les photos envoyées par Patrick du bateau pneumatique secouru ce matin par les sauveteurs volontaires de SOS MEDITERRANEE.

Patrick Bar est photographe volontaire, de retour sur l’Aquarius depuis moins d’une semaine. Il nous avait d’abord contacté quand il avait eu vent de notre « projet fou » à la fin 2015, ce projet de citoyens européens qui refusaient l’indifférence face à la tragédie en Méditerranée. Patrick nous avait proposé de s’embarquer dans l’aventure dès la première campagne en mer.

Nous avions réuni nos efforts en Allemagne et en France, pour rechercher le bateau idéal, celui qui pourrait accueillir plusieurs centaines de naufragés, tenir la mer toute l’année quelles que soient les conditions météo, celui où nous pourrions abriter les plus faibles sous des ponts couverts, prendre soin d’eux dans une clinique spécialement aménagée. Nous avions mobilisé autour de nous nos collègues, nos amis, les amis de nos amis puis leurs propres réseaux… Et grâce à cette mobilisation citoyenne sans précédent, grâce aux efforts de tous ces bénévoles de la première heure, nous avions pu lever des fonds suffisants pour financer quelques semaines en mer ! Nous avions alors affrété l’Aquarius.

Patrick a couvert les trois premiers mois en mer de l’Aquarius en 2016. Depuis Sassnitz en Allemagne, où l’équipage avait largué les amarres fin janvier, pour nous amener à Marseille ce magnifique navire de 77 mètres à coque orange ! L’Aquarius s’y était arrêté pour une escale technique du 18 au 20 février. Notre première équipe de sauveteurs, emmenés par Klaus Vogel, ainsi que l’équipe médicale et logistique de Médecins du Monde, notre partenaire médical sur cette campagne initiale, étaient alors montés à bord. Tous les équipements nécessaires au sauvetage, gilets de sauvetage, toilettes mobiles sur le pont, kits pour les naufragés – couvertures, vêtements, nourriture… y avaient été chargés.

De Marseille à Palerme, où nous avions retrouvé l’équipe de SOS MEDITERRANEE Italie tout juste constituée, et célébré ce projet citoyen européen en tout petit comité.

De Palerme à Lampedusa. Et enfin le grand départ du port de Lampedusa, le 26 février 2016. L’angoisse des dix premiers jours à sillonner en vain les eaux internationales dans la zone de détresse du Détroit de Sicile – là où les cartes maritimes indiquent la plupart des signalements de détresse. L’Aquarius seul navire de sauvetage en mer, face aux côtes libyennes. Les entraînements, l’attente, les entraînements. L’attente à bord et à terre également.

Puis ce message de détresse transmis à 6h du matin à l’Aquarius par le Maritime Rescue Coordination Center de Rome, ce 7 mars 2016. A leur première approche par une mer formée, les sauveteurs avaient estimé à la taille du bateau qu’une trentaine de personnes devait s’y trouver. Dix femmes affaiblies et frigorifiées avaient été transférées en priorité, rejointes bientôt, au fil des navettes de nos canots par plusieurs dizaines d’hommes, dont certains en état de choc. Un homme blessé au pied par les clous du mauvais plancher, titubait et hurlait de douleur. Nous étions stupéfaits.

Ce premier sauvetage avait permis de mettre en sécurité sur l’Aquarius, 74 personnes entassées dans un bateau pneumatique gris qui commençait à prendre l’eau et à se déchirer.

Le choc et l’émotion étaient partagés par nos équipes. Patrick avec son appareil photo,  avait saisi l’effroi des naufragés puis leur soulagement, dans leurs regards. La sidération des équipes également. La même stupéfaction qui est la nôtre, aujourd’hui, lorsque nous découvrons un an plus tard, 85 personnes entassées dans un pneumatique gris.

Par Sophie Beau

Crédits photos : Patrick Bar